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MOYEN ORIENT. Phallocraties: le voile se lève


Afghanistan, Arabie Saoudite, Yémen, Bahreïn, Iran, Irak, … Le constat est clair : il ne fait pas bon être femme dans ces pays-là. L’oppression séculaire qu’y subit le « sexe faible » semble difficile à résorber. Dans le domaine du travail, de l’éducation, de la famille, dans la vie quotidienne comme dans les prises de position politiques, cette minorité, pourtant majoritaire numériquement, reste cachée dans l’ombre de traditions sexistes. Aucun de ces pays n’a voulu signer la CEDAW, Convention de l’ONU visant à lutter contre les discriminations à l’égard des femmes. Peut-on y voir une simple raison religieuse ? Rien n’est moins sûr. Pour preuve : l’Indonésie, pourtant premier pays musulman au monde, l’a bien signée, de même que la Turquie. Mais pourquoi donc en Arabie Saoudite, la parole d’un homme vaut-elle celle de deux femmes ? Pourquoi interdit-on les femmes de se baigner sans leur burqâ au Yémen? Pourquoi fantasme-t-on sur Rania de Jordanie faisant son footing, alors que seulement 0,5% des juristes sont des femmes dans son pays ?
Les « phallocraties » du Moyen Orient ont hérité de traditions et de structures effectivement légitimées par la charia –loi islamique, et le fiqh –droit musulman. Il est écrit, Sourate 4 du Coran : « Tu as le droit d’enfermer ta femme si elle se montre désobéissante, et de la battre si elle persiste». Seulement, ce texte ne vient qu’institutionnaliser, et justifier des pratiques déjà existantes avant la venue de Mahomet. En contrepartie, l’Islam a construit l’image d’une femme parfaite sous les traits de Fatima, belle et docile, respectueuse et donc, digne de respect. Femme soumise, et libre de l’être en quelque sorte. Le port du voile n’est d’ailleurs pas inscrit dans le Coran, il n’est qu’un dogme instauré par le Prophète lui-même : voulant protéger les beautés de sa femme du regard inquisiteur des autres hommes, il lui demande de se voiler les cheveux –seulement les cheveux. Aujourd’hui, entre 80% et 98% des femmes de ces pays sont voilées, Yémen en tête. La burqâ afghane, si bien montrée par les médias, n’a pas encore disparu, et est souvent remplacée par la bayana complète.
Il existe pourtant dans cette région un mouvement paradoxal d’émancipation de la femme : en Syrie, en Jordanie, en Egypte, et même en Arabie Saoudite, des femmes militantes se dé-voilent, sans pour autant renoncer à leur religion. Au Caire, « seulement » 80% des femmes sont voilées, et en Arabie Saoudite, les femmes viennent d’acquérir le droit de vote. En parallèle, l’Iran, lui, fait preuve d’hypocrisie : le voile est obligatoire –son absence conduit à un an d’emprisonnement et 74 coups de fouet-, la jeune fille devient femme à 9 ans légalement, et la Révolution Islamiste a mis en place un plan de « promotion de la culture de la chasteté ». Mais Téhéran devient en réaction une ville de « débauche » : les femmes voilées les plus riches sont maquillées et habillées à la dernière mode, les clubs clandestins se développent en souterrain, de même que la prostitution de luxe. Et en Afghanistan, trois ans après la chute des mollahs, l’association RAWA (Revolutionary Afghan Women Association), médiatisée par l’UNESCO, a pu être créée sans être censurée. Mouvement paradoxal donc, puisqu’ en Europe, la majorité des femmes issues de pays musulmans autoritaires continue de garder le voile complet. A Londres, chez Harrod’s, le magasin de luxe de Mohamed AlFayed, des fantômes dorés se promènent au rayon des sacs et des chaussures. Les femmes des « rois du pétrole » ; richissimes, mais toujours invisibles.
En réalité, penser que les femmes musulmanes sont opprimées, revient à dire que celles d’Europe ne le sont plus. Et cela nous arrange. Il existe partout au Moyen Orient, à des degrés divers, des mouvements féminins, rarement féministes, plus ou moins clandestins, luttant pour l’affirmation de leurs droits. Cela dit, une difficulté majeure réside dans le fait qu’en Occident, ce sont les hommes qui ont acquis ces droits en premier, et qui ont par la suite « laissé » les femmes lutter pour. En un sens, les hommes doivent d’abord être libres pour que les femmes le soient ; et ces hommes du Moyen Orient, opprimés par un Etat rétrograde, ont trouvé leur terrain de liberté privée dans leur seul rapport de force avec les femmes. Pour preuve, les libertés politiques, syndicales, sont majoritairement inexistantes, et pour les deux sexes. Ces pays ont donc, entre autres, besoin de développer des classes moyennes, c’est-à-dire une forme de bourgeoisie orientale, qui revendiquera la protection de leurs biens par un Etat devenu protecteur, et non inquisiteur. D’où, évidemment, la nécessité d’un développement économique.
Néanmoins, dans ce combat, la soumission de la femme à l’homme ne doit pas être substituée par une soumission de la femme à Dieu. En France, le port du voile marque cette différence : les jeunes filles voilées ne sont pas nécessairement dans une logique de sexe, mais dans une perspective plus religieuse. D’où la difficile compatibilité avec les structures laïques, elles-mêmes très rigides. Refuser d’être insoumise, n’est pas une solution à la soumission. Mais malheureusement, la liberté n’est pas qu’un droit, c’est aussi un devoir. A nous de l’assumer.
Janvier 2006

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