Chaim Soutine, Boeuf écorché, 1925
Exposé à la Pinacothèque de Paris jusqu’au 27 janvier 2008, Chaim Soutine fait partie de ces artistes dits « maudits » qui connaissent un sursaut de célébrité plusieurs décennies après leur disparition. Resté dans l’ombre pendant de longues années (sa dernière exhibition à Paris date de 1970), ce peintre d’origine lituanienne ayant principalement vécu à Paris est devenu depuis peu un acteur incontournable du mouvement expressionniste des années 1920. Déjà, en février 2006, une vente très remarquée à Londres (8 millions de £ pour son « Bœuf écorché ») avait amorcé la tendance.
Le parcours de l’exposition suit l’architecture originale du lieu : deux niveaux pour quatre-vingt œuvres environ, et un itinéraire de visite en serpentin, pour casser la monotonie de l’accrochage sans doute. Les natures mortes minimalistes se succèdent aux portraits corrosifs de petites gens, souvent peu amènes. Parmi ces toiles se cachent quelques paysages un peu ternes du Sud de la France, où Soutine vécut douloureusement durant des périodes de convalescence. Mais dans cette installation cyclique, le visiteur tourne vite en bourrique. La « patte » de Soutine, faite d’ironie, de distorsions, de touchés disgracieux, semble inamovible, inchangée dès ses premières créations. Point de ruptures, point d’évolution du trait, point d’ouverture à des thèmes nouveaux. En un sens, Chaim Soutine ne manque pas de talent, mais d’inspiration. Or pour un artiste présenté comme polymorphe, parfois imposteur même, tant de régularité surprend. Marc Restellini, le commissaire de l’exposition, n’a-t-il pas confondu l’homme, clandestin s’il en est, et le peintre ?
L’attachement que ce dernier accorde à sa judaïté pose également question. On sait que Soutine se désintéressait lui-même profondément de sa religion comme de l’utilisation que l’on pouvait en faire. Au regard de ses peintures, où jamais ce thème ne transparait, comme de son style, expressionniste sans être jamais politique, il semble que problématiser à ce point tout un pan de son œuvre, c’est accorder de façon inopportune de l'importance à un sujet qui semble aussi étranger au public qu'à l'artiste.
L’attachement que ce dernier accorde à sa judaïté pose également question. On sait que Soutine se désintéressait lui-même profondément de sa religion comme de l’utilisation que l’on pouvait en faire. Au regard de ses peintures, où jamais ce thème ne transparait, comme de son style, expressionniste sans être jamais politique, il semble que problématiser à ce point tout un pan de son œuvre, c’est accorder de façon inopportune de l'importance à un sujet qui semble aussi étranger au public qu'à l'artiste.
Car les toiles de Soutine les plus fameuses ont avant tout le don de surprendre le spectateur. Les couleurs se superposent, les rouges sont éclatants (splendide Garçon au jouet), les natures mortes déroutent. Rendant d’implicites hommages à ses maîtres comme ses proches contemporains (de Rembrandt à Cézanne, de Corot à Kokoshka), Soutine excelle dans l’ironie, le grotesque, l’écœurement. Mais il ennuie dans l’étude et la contemplation, dans ses projections ou ses errements qu’il n’assume jamais tout à fait. On regrette trop souvent que les sujets peints ne partagent pas le tourment et la folie de la matière et du trait. On regrette aussi que la plus belle nature morte soit oubliée dans un coin, dos au public, mal éclairée. On regrette surtout que Soutine pâtisse d’un lieu d’exposition récent, très mal agencé. Dans une configuration plus construite et thématique, l’imperfection et la linéarité de son œuvre auraient peut-être été moins évidentes.
Janvier 2007