Thursday

LITTERATURE. Flagrante Delhi

Quatre bouquins qui parlent de l'Inde... liste non exhaustive mais indispensable.

L’incontournable
E.M. Forster, A passage to India (1924)

Classique parmi les classiques, A Passage to India dresse le portrait de trois colons anglais et du Dr. Aziz, un Indien anglophone qui leur tient compagnie sur place. Malgré la droiture et les « manières occidentales » de ce dernier, il est accusé par la Mrs. Quested d’avoir abusé d’elle lors d’une visite des Marabar caves. Mais la jeune femme se rétracte lors du procès, laissant place au doute. Que s’est-il réellement passé dans cette grotte ? Entre amitiés fragiles et racisme colonial, Forster tente de démêler les sentiments des personnages, à la fois aiguisés et ébranlés par les préjugés qui pervertissent les deux communautés.

Le carnet de voyages
Nicolas Bouvier, La descente de l’Inde, in Œuvres (2004)

Ecrivain, poète et photographe, Nicolas Bouvier est avant tout un baroudeur, un vrai, qui n’hésite pas à voyager en solitaire de Belgrade à Tokyo avec pour seule compagnie sa Fiat Topolino poussiéreuse et un cric. Il ne lui faut pas moins de 1400 pages pour raconter cette escapade magique. Il a passé près de quatre mois à découvrir l’Inde, à arpenter ses routes grouillantes et ses villes frénétiques. Un rêve d’évasion contrasté, qu’il nous fait vivre par procuration avec passion et modestie.

L’expérience
Marc Boulet, Dans la peau d’un intouchable (1994)

Journaliste indépendant, Marc Boulet s’est « métamorphosé » en intouchable pendant trois mois à Bénarès. Maquillé et vêtu quotidiennement comme les gens de cette caste d’exclus qui connait une misère humaine et matérielle extrêmes, il a fait l’expérience du mépris, de la mendicité et de l’abandon. Sorte de baptême par le feu vu de l’intérieur, ce livre est aussi une façon de dire que oui, le journalisme peut être expérimental.

La relève
Abha Dawesar, Babyji (2007)

Trois femmes, une lycéenne, une divorcée et une servante gravitent autour de Babyji, sorte de lolita intello indienne qui tente de déchiffrer le monde et ses sens à travers les yeux de la physique quantique. Le ton emprunté par la romancière (une jeune Indienne polyglotte étonnamment moderne) est libre, presque libertin. De scandale ou pas, Babyji est un vrai succès, en Inde comme aux Etats-Unis. Le must-have (un brin épicé) de ce printemps littéraire.

EDITO. Ainsi soit JEU

Tous les pédopsychiatres vous le diront : le jeu, c’est bon pour la santé. Et pas seulement parce que cela lustre le poil ou rend docile. Certes, le jeu est à l’enfant ce que Félix est au chat, ce qu’Achille est au talon et Arlette Laguiller à la politique. Mais si le jeu est le nerf d’une guerre parfois sans merci, celle-ci ne se prend heureusement pas au sérieux.
Le jeu nécessite avant tout un certain apprentissage : respect des règles, respect du ou des participant(s), acceptation de l’échec ou de la victoire. En pratique, cela donne : jeter le caillou par terre à la marelle, garder ses crampons à plat sur une pelouse, rester poli avec l’arbitre, même si c’est un bel enculé.
Zut, le mot est lâché.
Néanmoins, après l’adolescence, les heures douloureuses passées sur Counter Strike à dégommer du terroriste en regrettant déjà un temps que les moins de 15 ans ne peuvent pas connaître, la donne n’est plus la même. Les dés ne sont pas encore pipés, mais le jeu devient plus qu’un simple loisir. Il faut plaire, se plaire avant tout. Affûter son coup droit, éviter les coups durs, jouer des coudes même, quitte à faire quelques entorses à la règle. Un seul objectif affiché : jouer dans la cour des grands. Les plus chanceux touchent droit au but, les autres restent sur la touche -ou déclarent forfait.
Tout ceci, c’est ce qui se joue sur le terrain ; une sorte de combat de coqs (tricolores) que seul le coup de sifflet final ou l’épreuve de mort subite viendront interrompre. Dans les gradins, en revanche, c’est une toute autre ambiance. Les banderoles s’affichent fièrement, exhibant la devise de toute démocratie digne de ce nom : « Du pain et des jeux ! ».
Et la foule d’applaudir à nouveau, unanime.
Dans ce brouhaha ambiant se cache pourtant une faction d’amuseurs, des « jokers » qu’on écoute d’une oreille, tambour battant. Des bêtes de foire, tantôt saltimbanques et tantôt prophètes, qui œuvrent à la fois comme voyants et comme escrocs au sein du groupe. Ce sont eux qui montent sur scène pendant l’entracte, eux que l’on applaudit le temps d’un « pouce ! artistique » providentiel. Et ce sont eux que nous célébrons dans ce journal, pour le plaisir de vos yeux... et l’amour du beau jeu.
(Avril 2007)