Wednesday

EXPOSITION. Chaim Soutine: "Ceci n'est pas un Rembrandt"

Chaim Soutine, Boeuf écorché, 1925
Exposé à la Pinacothèque de Paris jusqu’au 27 janvier 2008, Chaim Soutine fait partie de ces artistes dits « maudits » qui connaissent un sursaut de célébrité plusieurs décennies après leur disparition. Resté dans l’ombre pendant de longues années (sa dernière exhibition à Paris date de 1970), ce peintre d’origine lituanienne ayant principalement vécu à Paris est devenu depuis peu un acteur incontournable du mouvement expressionniste des années 1920. Déjà, en février 2006, une vente très remarquée à Londres (8 millions de £ pour son « Bœuf écorché ») avait amorcé la tendance.
Le parcours de l’exposition suit l’architecture originale du lieu : deux niveaux pour quatre-vingt œuvres environ, et un itinéraire de visite en serpentin, pour casser la monotonie de l’accrochage sans doute. Les natures mortes minimalistes se succèdent aux portraits corrosifs de petites gens, souvent peu amènes. Parmi ces toiles se cachent quelques paysages un peu ternes du Sud de la France, où Soutine vécut douloureusement durant des périodes de convalescence. Mais dans cette installation cyclique, le visiteur tourne vite en bourrique. La « patte » de Soutine, faite d’ironie, de distorsions, de touchés disgracieux, semble inamovible, inchangée dès ses premières créations. Point de ruptures, point d’évolution du trait, point d’ouverture à des thèmes nouveaux. En un sens, Chaim Soutine ne manque pas de talent, mais d’inspiration. Or pour un artiste présenté comme polymorphe, parfois imposteur même, tant de régularité surprend. Marc Restellini, le commissaire de l’exposition, n’a-t-il pas confondu l’homme, clandestin s’il en est, et le peintre ?
L’attachement que ce dernier accorde à sa judaïté pose également question. On sait que Soutine se désintéressait lui-même profondément de sa religion comme de l’utilisation que l’on pouvait en faire. Au regard de ses peintures, où jamais ce thème ne transparait, comme de son style, expressionniste sans être jamais politique, il semble que problématiser à ce point tout un pan de son œuvre, c’est accorder de façon inopportune de l'importance à un sujet qui semble aussi étranger au public qu'à l'artiste.
Car les toiles de Soutine les plus fameuses ont avant tout le don de surprendre le spectateur. Les couleurs se superposent, les rouges sont éclatants (splendide Garçon au jouet), les natures mortes déroutent. Rendant d’implicites hommages à ses maîtres comme ses proches contemporains (de Rembrandt à Cézanne, de Corot à Kokoshka), Soutine excelle dans l’ironie, le grotesque, l’écœurement. Mais il ennuie dans l’étude et la contemplation, dans ses projections ou ses errements qu’il n’assume jamais tout à fait. On regrette trop souvent que les sujets peints ne partagent pas le tourment et la folie de la matière et du trait. On regrette aussi que la plus belle nature morte soit oubliée dans un coin, dos au public, mal éclairée. On regrette surtout que Soutine pâtisse d’un lieu d’exposition récent, très mal agencé. Dans une configuration plus construite et thématique, l’imperfection et la linéarité de son œuvre auraient peut-être été moins évidentes.

Janvier 2007

REVIEW. Nobuyoshi Araki. Self, life, death

After being shown at the Barbican Art Gallery in 2005, the first retrospective of the Japanese photographer Araki is now presented in Stockholm’s Kulturhuset. About four thousands clichés review forty years of relentless work, a feature amplified after his wife’s death in 1990.
Araki can be seen as a paradoxical artist, fascinated by women and eroticism, as well as traditional themes such as Japanese culture, cities (especially Tokyo) and death. The interaction between those two tendencies creates an extraordinary tension, sometimes enhanced by the apposition of dozens of clichés in a same frame, like in mangas. Avoiding any signs of vulgarity, Araki’s passion for women is an echo of his own lust for life. Alike Mapplethorpe, his lecherous photos of voluptuous flowers openly symbolize women’s sexual organs. Sometimes contemplating, Araki also catches punctual scenes: a naked woman laughing in her bed or eating food; people crossing the street… Modern life is Araki’s second muse. He reveals the intensity of small details in buildings, objects and people’s attitude. Series about Tokyo were often touched up during the developing. At some point he burnt the negatives or put color paint on it.
Something striking is that most of the pictures represent individuals. When people are close to each other it is only because two separate photos have been stick together. As if they had been abandoned but did not feel lonely. In the same perspective, very few of his models actually have a name; they are either totally anonymous or called ambiguously. They are both unique and exchangeable.
Alternating between black and white pictures and more or less colored ones, his work reflects the infinite diversity of life, but also its temporary dimension, indisputably finished. Time and space are manifolded. The amount of clichés blurs our vision of life. Indoor scenes are timeless, for there is no day or night but only artificial lights in closed rooms. And those rooms could be hotel rooms, the photographer’s studio, his place, or anywhere else.
Highly influenced by ancient Japan, Araki also took pictures of geishas, without precising if they were models or real ones. But his most controversial works are dealing with the theme of bondage: in these photos, naked young women are bound in ropes, sometimes hanging over the ground, looking mute and helpless. A centuries-old sexual phantasm specific to Japan which Araki has “modernized” and made his. Looking at these erotic visions, the eye of the viewer seems to rape the picture, and sublimes his subconscious desires.
Araki’s interest for the living necessarily implies the awareness of death. He is a bulimic artist trying to capture every moment of beauty and pleasure of life, for both are always linked. The “self” only appears under the shape of the photographer’s way of seeing the world, hardly ever in an autobiographic manner. It is a constant stream of consciousness, full of tension, positive fears and energy. Araki perfectly illustrates Roland Barthes’s sentence: “Death is the eidos of photography”. It does not eliminate human anxiety towards death, but it aims at overcoming it.
Décembre 2007

Sunday

GROS PLAN. Ces oeuvres qui font rêver... les collectionneurs

Publiques ou privées, les ventes d’art moderne et contemporain battent records sur records depuis les années 1990, au point que certains analystes redoutent un « krach courtier » dans les années à venir. En attendant, voici une courte présentation des oeuvres les plus chères du moment, panorama sans cesse en recomposition tant les prix flambent rapidement.

Jackson POLLOCK, N°5, 1948.

Huile sur toile, 122 x 144 cm.

Vente privée, 140 millions de dollars.


Peintre miséreux, alcoolique notoire, certes moins spirituel que son ami et rival Willem De Kooning mais plus instinctif et puissant, Pollock est entré dans l’histoire de l’art grâce à ses actions paintings, et dans celle du marché de l’art en décembre 2006 lors de cette transaction (privée) spectaculaire. Protégé de Peggy Guggenheim, qui l’exposera en premier dans sa galerie Art of this century, il se retire rapidement à la campagne en compagnie de sa femme Lee Krasner, elle aussi peintre. Après plusieurs années où il mène une vie austère mais artistiquement très riche, il meurt dans un accident de voiture sous l’emprise de l’alcool, en 1956.

2.
Gustav KLIMT, Portrait d’Adèle Bloch-Bauer, 1907.
Huile et or sur toile, 132 x 138 cm.
Vendu 135 millions de dollars.


Incarnant à lui seul les Sécessions viennoises et l’Art Nouveau du début du siècle, l’autrichien Klimt possède aujourd’hui une côte plutôt stable sur le marché, confortée par l’intérêt croissant des sciences humaines pour la période historique à laquelle il appartient. Le portrait d’Adèle Bloch-Bauer est à présent visible au musée new-yorkais de la Neue Gallery.
3.
Pablo PICASSO, Garçon à la Pipe, 1905.
Huile sur toile, 81 x 100 cm.
Vendu 100 millions de dollars.

Nul besoin est de présenter Picasso, artiste de génie à l’œuvre extrêmement prolifique et tout autant visionnaire. A noter toutefois que Le garçon à la pipe a été produit durant la « période rose » de l’artiste, paradoxalement moins reconnue que celle du cubisme, un mouvement pourtant fondateur dont il a été le principal architecte.

L’œuvre de l’artiste vivant la plus chère au monde.

Damien HIRST, For the love of God, 2007.
Crâne humain et diamants.
Vendu 100 millions de dollars.

Véritable artiste-entrepreneur, Damien Hirst, 42 ans seulement, brille régulièrement par ses coups d’éclat –ou de génie- lors de ventes au sommet. Avec ce crâne serti de 75 millions de dollars de diamants, il est actuellement l’artiste vivant (pourtant fasciné par la mort) le mieux côté sur le marché. Assisté de dizaines de collaborateurs, il est le dépositaire d’une véritable marque de fabrique au succès toujours croissant. Reste à savoir jusqu’où cette entreprise pourra aller.

La photo la plus chère au monde.
Andreas GURSKY, 99 cent II diptychon, 2001.
Impression couleur chromogénique, 205 x 340 cm.
Vendu 3,3 millions de dollars.

Pour la photographie également, les contemporains semblent avoir le vent en poupe. En février dernier chez Sotheby’s, il fallait débourser pas moins de 3,3 millions de dollars pour repartir avec ce gigantesque cliché représentant des rayons de supermarché saturés de couleurs, de formes et d’illusions géométriques. Un précédent cliché d’une même œuvre avait déjà atteint 2,2 millions de dollars deux ans auparavant.

Wednesday

CYCLE BIZARRE. Le corps dans tous ses états


Le musée de l’érotisme émoustille, celui de la marine assomme. Le musée Dupuytren a quant à lui le don de nous émerveiller, mais d'une façon bien particulière.
Tout commence Rue de l’Ecole de médecine, où repose depuis des siècles la mythique faculté de médecine de Paris. Un lieu quasi sacré que le visiteur profane foule d’un pied pénitent, avant de trouver au fond, bien cachée, la porte exigüe et non moins inquiétante qui amène (du moins, faut-il le croire) à la caverne aux merveilles dont il est question ici.
« Sonner ». Sonnez. La porte s’ouvre –ô miracle- sur un quinquagénaire à l’apparence normale, qui sera votre guide pour une petite heure. L’homme vous conduit à travers un couloir (qui fait aussi office de bureau et de bibliothèque) débouchant in fine sur la salle tant attendue.
La pièce est unique, presque carrée, assez grande. Partout, des bocaux verdâtres derrière d'étranges vitrines, et tout autour, comme un péristyle un peu macabre, des objets de cire représentant différentes parties du corps humain. Le décor est repoussant, un brin suspect ; vous voulez repartir, rejoindre la civilisation, mais une voix intérieure –celle de la curiosité ? de la compromission ?- vous dit que quelque chose se cache derrière tout ce fatras, au-delà de l’apparente horreur des cerveaux et des cœurs qui trônent devant vous, baignant dans le formol, heureusement immobiles.
La visite peut enfin débuter. Au menu, hémorragies cérébrales, donc, grains de beauté géants (recouvrant tout le visage), kystes de 60 kilos, infarctus divers (votre guide commente à ce sujet : « Le cœur est totalement baigné de sang. Regardez, un boucher ne ferait pas mieux ! »), têtes anencéphales (comprenez : sans cerveau), véritables fœtus-cyclopes, rates de 2 kilos (dix fois leur poids habituel), fœtus à deux têtes, squelettes de rachitiques, sexes d’hermaphrodites, crânes en tous genres… La palme du mauvais goût revenant à la tumeur pileuse de l’estomac, due à l’ingurgitation très répétée -et pathologique- de cheveux (l’organe a donc pris l’aspect d’un estomac entièrement recouvert de poils). Des cas exceptionnels de pathologies qui prouvent, à leur insu, que la nature a parfois plus d’imagination que les humains.
Mais s’arrêter à ce stade d’observation serait à la fois un peu simple, et bien dommage. Car la visite guidée permet également, sinon de comprendre, du moins d’apprendre en quoi ce musée peut être utile à la science. On apprend donc, pêle-mêle, que la rate est comme un « cimetière à globules rouges » ; que les noms des maladies n’ont été, pour la plupart, attribués qu’au 19° siècle ; que le mot « infarctus » signifie « farci de sang » ; que la vitamine D n’a été découverte qu’au début du XX° siècle ; que le premier rayon X utilisé date de 1895 (l’alliance de la femme du chercheur qui en a fait la découverte est encore perceptible sur la photo) ; qu’il a fallu attendre l’après seconde guerre mondiale pour qu’une femme enseigne à la fac de médecine ; que la première anesthésie (sous protoxyde d’azote, un gaz hilarant) remonte à 1846 ; que 10% des morts de femme en couche au 19° siècle étaient en fait dus à des pneumonies, etc…
On apprend également que la médecine arrive parfois s'écarter de la science pure. Ainsi, Percival Pott, chirurgien anglais du 18° siècle, a-t-il détecté « d’instinct » (mais ce mot-là fait peur dans un domaine si balisé) le premier cancer professionnel : la « maladie des petits ramoneurs » (un cancer prématuré des testicules) touchait des enfants employés pour nettoyer les immenses conduits de cheminée dans l’Angleterre de la première révolution économique. Sans le savoir, Pott avait découvert les effets cancérigènes du charbon, ce que mettront en évidence des chercheurs japonais plus d’un siècle et demi après lui.
Si le musée Dupuytren n’est pas un embarquement pour Cythère, c’est du moins une formidable invitation au voyage dans la plus belle usine à bizarreries qui soit au monde : le corps humain.

Décembre 2007

CYCLE BIZARRE. Quelle performance!


New York, 1974. Un avion en provenance de Düsseldorf se pose sur une piste de l’aéroport John F. Kennedy. A l’intérieur, Joseph Beuys, artiste allemand, réfugié dans une étoffe de feutre. Invisible. Escorté par une ambulance et des voitures de police, l’étrange colis finit par atterrir quelques heures plus tard à la Galerie René Block. Beuys y restera trois jours, emmitouflé dans sa couverture à côté d’un coyote sorti de sa réserve naturelle pour l'occasion. Avec lui, l’artiste jouera de sa canne, de son triangle, de sa lampe torche. Une fois les 72 heures écoulées, Beuys repartira comme il est venu, sans presque avoir foulé le sol américain.
I like America and America likes me (nom que porte cette action) est sans doute la performance la plus célèbre de celui que l’on considère aujourd’hui comme le père de l’art contemporain. Elle est aussi l’emblème d’une nouvelle forme de création artistique désignée comme telle depuis les années 60, mais aux racines bien plus profondes.
En effet, l’art des performances puise ses origines dans des pratiques culturelles de loin antérieures aux actions viennoises de Nitsche (attention, ne pas confondre) ou même aux soirées délirantes des Dadaïstes au Cabaret Voltaire zurichois. Car une performance, c’est avant tout une mise en scène, une représentation, une mise en mouvement d’idées. D’ailleurs, l’anglais « to perform » (jouer une pièce) traduit plus clairement cette notion de « publicité » de l’art, de vouloir confronter le public non pas à une œuvre finie, mais à une œuvre en devenir.
Qu’elles fassent rire, grimacer ou grincer des dents, qu’elles énervent ou qu’elles laissent perplexes, les performances soulèvent plus que jamais la question de la légitimité d’une œuvre d’art et de sa raison d’être. Soyons honnêtes : comment le fait de faire du hula hoop avec un fil de fer barbelé en guise de cerceau, comme l’artiste israélienne Sigalit Landau, peut-il être perçu comme un fait artistique ? Quelle est la place de l’esthétique dans l’éviscération nitschéenne (voir plus haut) d’un agneau de Pascal ? Quid des opérations chirurgicales déformantes de la française Orlan ? Quid des bras de Gina Pane, perforés d’épines de rose, et de ses mains meurtries par des rasoirs disposés sur les barreaux d’une échelle qu’elle escaladait ? Tout ceci paraît bien obscur. Pas sérieux, diront certains. Fou ! s’exclameront d’autres. Mais l’essentiel, comme toujours, est ailleurs.
Observez plutôt le photographe Araki, possédé, captant ses modèles nus devant un parterre de spectateurs ébahis par tant de grâce ; regardez comment ces femmes, baignées de bleu, l’air impassible, se meuvent sur la toile horizontale d’Yves Klein ; écoutez John Cage tourner les pages d’une partition vide, ce silence, cette unique pause, seulement longue de 4 minutes et 33 secondes ; venez, vous-aussi, au lieu de maugréer, découper un bout de la robe de Yoko Ono (qu’oserez-vous y découvrir : une épaule? Un bout sein ? Un pudique genou ?)…
Pour comprendre et apprécier de tels moments, il ne faut qu'une chose: être là. Complice, dubitatif, exaspéré peut-être, mais bien là, au cœur de l’action, au cœur de la vie. Rauschenberg disait : « L’art et la vie ne se font pas. Je crée entre les deux ». Les performances en sont un magnifique contre-exemple.

Novembre 2007 - Publié dans Artmaniak

Sunday

POLITIQUE. Sarkozy ou les vices de l'amertume.

Au cours de la campagne présidentielle de 2007, le candidat UMP Nicolas Sarkozy s'est présenté comme l'homme de toute les droites, en même temps que celui de tous les Français. Un objectif aux allures d'obsession -un brin schizophène- que seule l'invocation d'un thème rassembleur, voire fondateur, pouvait surmonter.
Lui-même fils d'immigré, il s'est empressé de réchauffer à sa sauce le thème de la Nation (mis au vestiaire depuis l'étrange victoire du 12 juillet 1998) et de l'ériger comme seule valeur commune à tous les Français, de souche comme d'adoption. Il suffit de se référer aux allocutions répétées du candidat, s'astreignant non seulement à réhabiliter l'idée même de Nation (historiquement empruntée à deux courants paradoxaux, d'un côté celui des chantres de "l'Etat Nation", et de l'autre, des "nationalistes" plus farouches), mais aussi à nous faire penser (et bientôt regretter) que l'attachement des Français à leur "nationalité" était progressivement devenu chose taboue.
Disparu, donc, l'attachement séculaire au drapeau tricolore. Disparus aussi, du moins c'est ce qu'il faut croire, les poils qui se hérissent au son de la Marseillaise, la larme à l'oeil des passants devant le Panthéon, le pèlerinage républicain annuel place de la Bastille... Autant de symboles censés incarner un idéal franco-franchouillard, mais qui n'ont finalement jamais constitué à eux seuls des éléments structurants de notre supposée identité... Alors, pourquoi vouloir les réhabiliter? Pourquoi évoquer des parfums d'antan quand on sait de quoi se nourrissait la grandeur de la France avant la Seconde Guerre Mondiale, et pire, au temps (béni) des colonies? La rupture tranquille de cette droite post-moderne serait-elle un relent de l'esprit réactionnaire de l'entre deux guerres?
Comme si l'idée de Nation ne suffisait pas, Nicolas Sarkozy y a greffé le terme d' "identité". Soit, l'ADN fantasmé d'une Nation. Car nous savons bien que si la Nation est effectivement "une et indivisible", elle ne cesse pas d'être "définie", c'est-à-dire, étymologiquement, "limitée par des frontières". Des frontières mouvantes, tant géographiquement que conceptuellement. D'ailleurs, Nicolas Sarkozy aurait bien du mal à développer sur le sujet. Niveau définition, il faudra s'en tenir à l'histoire, la culture, la langue et les héros communs à près de 60 millions de ses amis. Nous voilà bien avancés. Il a bien fait référence à quelques Français dignes de ce nom (Jaurès, De Gaulle, Enrico Macias), mais apparemment sans se rendre compte qu'à travers ces trois personnages historiques, ce sont trois France qui cohabitent, pour ne pas dire qui s'affrontent.
Notre pays s'était construit face et grâce à ses ennemis extérieurs; maintenant ce sont ceux de l'intérieur, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas acquis à sa cause, qui lui font de l'ombre. Un repli identitaire regrettable pour les enfants de la patrie comme pour les prétendants à la carte de séjour. En somme, la diffusion politique du message "néo-nationaliste" a créé une grave confusion entre ce que Deleuze comprend comme l'histoire et le devenir des peuples. Ainsi, en redessinant une carte de la France "non repentante", c'est-à-dire responsable de ses erreurs sans en être coupable, Nicolas Sarkozy a voulu façonner le passé collectif de tout un pays, en faisant miroiter un futur contradictoire mais plus confortable à appréhender.
Nicolas Sarkozy n'est pas un homme du terroir. Faute de pouvoir être l'homme de la tradition, ce sera donc celui de la rupture, un rôle où il est nettement plus crédible. Impossible pour lui d'assumer une responsabilité collective très ancienne quand on sait ses origines étrangères. Il faut donc inventer le futur. Et pour cela, renier le travail de mémoire effectué par son prédécesseur. Chasser ces "mouches" sartriennes, qui volent encore autour des cadavres des esclaves et des charniers de la Shoah.
Repenser un passé à l'image de son futur, voilà le projet aberrant que notre actuel Président a mis sur pied voilà plus d'un an. Heureusement, les historiens ont dans leur possession des armes d'un autre âge, mais encore bien efficaces.
(Voir cet article paru dans Libération):
Reste à espérer que cette campagne honteuse restera dans notre inconscient collectif un simple mauvais rêve.

Friday

MUSIQUE. Les restes du King, 30 ans après

Lire l'article de Bruno Lesprit, paru dans Le Monde du 15 août:

Monday

CYCLE CINEMA. Les huis clos (4)


Dogville (2003). Avec Nicole Kidman, Paul Bettany, Patricia Clarkson, Jeremy Davies, Chloe Sevigny, Lauren Bacall, Jean-Marc Barr... Voix-off: John Hurt. Réal: Lars Von Triers.

CYCLE CINEMA. Les huis clos (3)

12 Angry men (1957). Avec Henry Fonda, Lee J. Cobb, Martin Balsam, Jack Klugman... Réal: Sidney Lumet.
Un jeune homme issu d'un quartier pauvre est accusé d'avoir tué son père à coups de couteau. Le jury chargé de l'affaire, composé de douze personnes (tous des hommes, tous des Blancs) se réunit pour trancher. A première vue, seul un homme (le mystérieux Henry Fonda, alias "Jury N° 8") émet des doutes quant à la culpabilité de l'accusé. Les onze autres sont unanimes: c'est lui le meurtrier. Ce sera donc la chaise électrique, point.
Mais la réticence du N° 8 pose problème, car pour envoyer un accusé dans les couloirs de la mort, l'unanimité du jury s'impose. Ainsi, durant plus d'une heure trente, Henry Fonda s'évertuera à questionner ses pairs, rassembler les preuves, fouiller les moindres détails pour faire entendre sa voix. Il recréera méticuleusement autour de la table le scénario du crime, avec une seule idée en tête: faire douter ses pairs. Un combat houleux contre l'absence d'esprit critique, les croyances et la mauvaise foi, qu'il finira par remporter.
Le film a le mérite de montrer des hommes ordinaires poussés à bout, souvent enclins à juger à la hâte ou selon leurs propres lois, voire au gré du temps (que ce soit la chaleur ou le match de baseball à ne pas manquer...). Il parvient aussi à démonter, de façon subtile, les arguments favorables à la peine de mort. Plus que les apparences, ce sont les évidences qui sont en cause. Elles ne sauraient être prises pour des vérités. Rien à voir avec Descartes, certes, mais tout de même. Une fois le doute réhabilité, un sentence aussi violente et définitive que la peine de mort devient inconcevable.
Plus important encore, le point de vue de la caméra, qui, sous des couverts de neutralité, pose maintes questions. Qui regarde ces douze hommes en colère? Le spectateur est-il seul juge de la scène, représente-t-il un "treizième homme" ou bien, pourquoi pas, l'esprit du jeune dont la vie est en jeu? Henry Fonda se doit-il également de nous convaincre? Que ferions-nous à la place du N°3, ou du N° 9? Enfin, serions-nous aussi des hommes en colère?
Vous avez 1h30 pour rendre votre verdict.

Sunday

CYCLE CINEMA. Les huis clos (2)

Snake Eyes (1998). Avec Nicolas Cage, Gary Sinise, John Heard, Carla Gugino... Réal: Brian de Palma.
Toutes les télés américaines ne parlent que de ça. Le match de boxe qui aura lieu ce soir au palais des sports d'Atlantic City sera le match du siècle. Un évènement immanquable pour quiconque s'intéresse de près ou de loin à la boxe. Même le secrétaire d'Etat à la Défense est dans les tribunes, c'est dire. Alors, à rencontre exceptionnelle, sécurité exceptionnelle. Pour (sur)veiller tout ce beau monde, l'oeil intrépide de dizaines de caméras balaie sans relâche les gradins, les couloirs, les sous-sols. Rien ne leur échappe. Rien, jusqu'à ce que l'impensable se produise: des coups de feu qui résonnent, quelques spectateurs qui s'écroulent, et au final, un secrétaire d'Etat à la Défense définitivement mis hors service. Personne n'a rien vu évidemment. Pas même Kevin Dunne, le responsable de la sécurité qui, visiblement affolé par la situation, se voit déjà au fond du trou.
Heureusement, nous sommes aux Etats-Unis, et la salle grouille de policiers. Parmi eux se trouve un ami de Dunne, Rick Santorro, ripoux médiocre, petit tricheur et gros flambeur. Chemise bariolée à col "pelle à tarte", petit flic en rade de combines, c'est l'homme de la situation. Il se charge de mener l'enquête, dans un stade fermé à quintuples tours et devenu le théâtre d'une implacable chasse à l'homme. Mais, sans le savoir, ce loser au bon coeur a mis le nez dans une affaire qui finira par le dépasser...
Certes, le scénario est léger et la pirouette finale un peu prévisible, mais la réalisation vaut à elle seule le détour. Le premier plan séquence, génialement truffé d'effets numériques imperceptibles, nous plonge tout droit dans le monde de De Palma, où le spectateur est tantôt voyeur, tantôt traqué. Avec des procédés qui rappellent certains plans de Mission Impossible ou Phantom of the Paradise, Brian De Palma joue magistralement avec nos nerfs optiques. Témoins malgré eux, nos yeux restent fixés à l'écran comme les caméras le sont du public dans la salle. Mission réussie...
N.B. Si vous avez une impression de déjà-vu, pas de panique. Les acteurs secondaires ne sont autres que le génial "Lieutenant Daaan" de Forrest Gump, et le père de famille de Maman j'ai raté l'avion. Un duo insolite qui fontionne plutôt bien.

Saturday

CYCLE CINEMA - Les huis clos (1)

Huis clos (1954). D'après la pièce de Jean-Paul Sartre. Avec Arletty, Gaby Sylvia, Franck Villard... Réal: Jacqueline Audry.
Une lesbienne, une femme infanticide et un révolutionnaire lâche se retrouvent en Enfer, obligés de vivre éternellement ensemble. Cette (con)damnation irréversible se révèle d'autant plus malheureuse et cruelle, que ce trio infernal expérimente les difficultés de "l'altérité": la promiscuité accentue la mauvaise foi des personnages, leur égoïsme, leur besoin de reconnaissance aussi. Présent et passé s'affrontent constamment dans un climat tendu, fait de tentations, de doutes, de justifications perpétuelles.
Alors, " l'Enfer, c'est les autres " ? Ici, gare aux interprétations hâtives : cette phrase-clé, tant caractéristique de l'oeuvre dont a été tiré le film, a souvent été mal utilisée. En effet, le fin mot de l'histoire ne célèbre pas à la condamnation de l'Autre, bien au contraire. Dans cette affaire, Autrui n'est pas un ennemi, il est avant tout un objet de tourments, car il nous renvoie à notre propre personne, nos démons intérieurs. La conscience d'Autrui est à la fois condition de notre existence, et contrainte: elle agit tel un prisme qui nous révèle à nous-mêmes, mais peut aussi nous juger, nous compromettre. Une dualité que l'Homme ne peut qu'accepter; un Enfer sans lequel il n'est pas de vie possible.
Autre précision: ce film n'est pas un huis clos! Ses nombreuses scènes de flash back échappent aux commandements de la pièce de théâtre, celui du huis clos n'en étant qu'un parmi d'autres (l'abondance des personnages dans le film constitue une autre marque de distanciation par rapport à la pièce).
A suivre:
12 Angry men (1957)...
Garde à vue (1981)...
Die hard (1988)...
Snake eyes (1998)...
Festen (1998)...
8 Femmes (2001)...
Dogville (2003)...

Thursday

LITTERATURE. Flagrante Delhi

Quatre bouquins qui parlent de l'Inde... liste non exhaustive mais indispensable.

L’incontournable
E.M. Forster, A passage to India (1924)

Classique parmi les classiques, A Passage to India dresse le portrait de trois colons anglais et du Dr. Aziz, un Indien anglophone qui leur tient compagnie sur place. Malgré la droiture et les « manières occidentales » de ce dernier, il est accusé par la Mrs. Quested d’avoir abusé d’elle lors d’une visite des Marabar caves. Mais la jeune femme se rétracte lors du procès, laissant place au doute. Que s’est-il réellement passé dans cette grotte ? Entre amitiés fragiles et racisme colonial, Forster tente de démêler les sentiments des personnages, à la fois aiguisés et ébranlés par les préjugés qui pervertissent les deux communautés.

Le carnet de voyages
Nicolas Bouvier, La descente de l’Inde, in Œuvres (2004)

Ecrivain, poète et photographe, Nicolas Bouvier est avant tout un baroudeur, un vrai, qui n’hésite pas à voyager en solitaire de Belgrade à Tokyo avec pour seule compagnie sa Fiat Topolino poussiéreuse et un cric. Il ne lui faut pas moins de 1400 pages pour raconter cette escapade magique. Il a passé près de quatre mois à découvrir l’Inde, à arpenter ses routes grouillantes et ses villes frénétiques. Un rêve d’évasion contrasté, qu’il nous fait vivre par procuration avec passion et modestie.

L’expérience
Marc Boulet, Dans la peau d’un intouchable (1994)

Journaliste indépendant, Marc Boulet s’est « métamorphosé » en intouchable pendant trois mois à Bénarès. Maquillé et vêtu quotidiennement comme les gens de cette caste d’exclus qui connait une misère humaine et matérielle extrêmes, il a fait l’expérience du mépris, de la mendicité et de l’abandon. Sorte de baptême par le feu vu de l’intérieur, ce livre est aussi une façon de dire que oui, le journalisme peut être expérimental.

La relève
Abha Dawesar, Babyji (2007)

Trois femmes, une lycéenne, une divorcée et une servante gravitent autour de Babyji, sorte de lolita intello indienne qui tente de déchiffrer le monde et ses sens à travers les yeux de la physique quantique. Le ton emprunté par la romancière (une jeune Indienne polyglotte étonnamment moderne) est libre, presque libertin. De scandale ou pas, Babyji est un vrai succès, en Inde comme aux Etats-Unis. Le must-have (un brin épicé) de ce printemps littéraire.

EDITO. Ainsi soit JEU

Tous les pédopsychiatres vous le diront : le jeu, c’est bon pour la santé. Et pas seulement parce que cela lustre le poil ou rend docile. Certes, le jeu est à l’enfant ce que Félix est au chat, ce qu’Achille est au talon et Arlette Laguiller à la politique. Mais si le jeu est le nerf d’une guerre parfois sans merci, celle-ci ne se prend heureusement pas au sérieux.
Le jeu nécessite avant tout un certain apprentissage : respect des règles, respect du ou des participant(s), acceptation de l’échec ou de la victoire. En pratique, cela donne : jeter le caillou par terre à la marelle, garder ses crampons à plat sur une pelouse, rester poli avec l’arbitre, même si c’est un bel enculé.
Zut, le mot est lâché.
Néanmoins, après l’adolescence, les heures douloureuses passées sur Counter Strike à dégommer du terroriste en regrettant déjà un temps que les moins de 15 ans ne peuvent pas connaître, la donne n’est plus la même. Les dés ne sont pas encore pipés, mais le jeu devient plus qu’un simple loisir. Il faut plaire, se plaire avant tout. Affûter son coup droit, éviter les coups durs, jouer des coudes même, quitte à faire quelques entorses à la règle. Un seul objectif affiché : jouer dans la cour des grands. Les plus chanceux touchent droit au but, les autres restent sur la touche -ou déclarent forfait.
Tout ceci, c’est ce qui se joue sur le terrain ; une sorte de combat de coqs (tricolores) que seul le coup de sifflet final ou l’épreuve de mort subite viendront interrompre. Dans les gradins, en revanche, c’est une toute autre ambiance. Les banderoles s’affichent fièrement, exhibant la devise de toute démocratie digne de ce nom : « Du pain et des jeux ! ».
Et la foule d’applaudir à nouveau, unanime.
Dans ce brouhaha ambiant se cache pourtant une faction d’amuseurs, des « jokers » qu’on écoute d’une oreille, tambour battant. Des bêtes de foire, tantôt saltimbanques et tantôt prophètes, qui œuvrent à la fois comme voyants et comme escrocs au sein du groupe. Ce sont eux qui montent sur scène pendant l’entracte, eux que l’on applaudit le temps d’un « pouce ! artistique » providentiel. Et ce sont eux que nous célébrons dans ce journal, pour le plaisir de vos yeux... et l’amour du beau jeu.
(Avril 2007)

Saturday

TELEVISION. Arte fait son show

La chaîne franco-allemande Arte diffuse sur les week-ends de février trois programmes culturels consacrés à des spectacles en tous genre. Samedi 3 et 10 février à 22.30, l’émission Musica se consacre à la Folle Journée de Nantes 2007 et diffusera à cette occasion un portrait du chef d’orchestre Günter Wand, disparu il y a cinq ans. Samedi 17, le spectateur pourra découvrir l’opéra Cardillac de Hindermith, et le 24 l’opéra Eugène Oneguine de Tchaïkovski mis en scène par Robert Carsen, qui sera diffusé en direct du Met de New York. Le dimanche à 19h, l’émission musicale Maestro, également présentée par Annette Gerlach, proposera un cycle Daniel Barenboim où le pianiste-chef jouera uniquement du Beethoven. Et pour les matinaux, l’émission Le Spectacle du Dimanche programmera à 9.30 une pièce de théâtre ainsi qu’un documentaire en rapport avec elle. Jean-Louis Trintignant sera à l’honneur le 18 février dans la pièce de Nathalie Sarraute Pour un Oui ou pour un Non, et le 25 février Frédéric Ferney présentera le magazine mensuel Pièces montées, petit panorama de la création théâtrale contemporaine.
(Janvier 2007)

Thursday

EDITO. Pour rugir de plaisir...

Souvenez vous, c’était il y a dix ans. Une femme, blonde, à forte poitrine, tenait tête à un lion dans une publicité pour une barre de chocolat. Faisant preuve d’une incroyable souplesse de la mâchoire (organe qui ne sert d’ailleurs pas qu’à déguster des snacks sucrés), elle rugissait telle une lionne enragée à vingt centimètres de la gueule du fauve. De plaisir, à en croire le slogan qui vendait la marque.
Car dès qu’il s’agit de parler de plaisir, les slogans et doctrines affluent immédiatement. Du millénaire « Carpe Diem » au plus déconcertant « labeyrisme » (inventé par la marque de foie gras du même nom) en passant par les ascètes (qui refusent justement toute tentation), les goûts et les couleurs, bien qu’indiscutables, sont au coeur de nos discussions. « Comment accéder au plaisir ? », voilà la question qui semble empêcher nos sociétés de dormir. Puisque nous ne savons pas comment combattre la mort, tentons d’apprivoiser la vie. Le « pourquoi vivre » devient « comment vivre », mais la réponse à cette question n’est pas nécessairement plus évidente.
D’abord, il faut se persuader qu’il n’y a « pas de mal à se faire du bien ». Et déjà, la tâche n’est pas aisée. En effet, comment notre plaisir peut-il se sentir innocent face au malheur humain, omniprésent sur nos écrans comme ailleurs ? Qu’on se rassure très vite, l’économie est là pour nous éclairer. L’équation est simple : qui dit satisfaction du consommateur dit bonheur (personnel), et qui dit innovation dit croissance (collective). Le plaisir est donc un cercle vertueux. Non seulement c’est ceux qui en parlent le moins qui en mangent le plus», mais en plus le plaisir s’auto-alimente, tout narcissique qu’il est. Pour preuve, nous sommes parfois tout bonnement heureux d’être contents ; c’est dire notre stock de déceptions refoulées, mais cela après tout, on s’en moque.
Autre épineux problème : de quel plaisir pouvons-nous nous régaler ? D’aucuns diraient que l’orgasme est LE plaisir par excellence, satisfaction sensorielle tellement puissante qu’elle met tous les sens en émoi en même temps qu’elle les paralyse. Qu’à cela ne tienne, il faut donc jouir, et à tout prix. Quitte à négliger d’autres sources de satisfaction aussi triviales que la gastronomie, le jeu, voire « le plaisir du texte » façon Roland Barthes.
Mais le plaisir, après tout, c’est peut-être encore autre chose, plus caché et moins avouable. D’un côté, il y a un manque, donc un désir refoulé d’accéder à un objet (ou une personne) idéalisé. De l’autre, il y a la certitude que la satisfaction amène une réaction positive de notre part, aussi jouissive que rassurante. De là l’idée que le plaisir peut devenir tyrannique et se retourner aussi bien contre l’esprit que sur les sens. L’Homme devient autant dépendant à l’objet convoité qu’au manque qui a créé cette convoitise. Par conséquent, nous pouvons nous réjouir d’être en manque (d’argent, de sexe, du reste) sans quoi nous n’en aurions même plus envie.
Toutefois, cette idée ne doit pas figer notre attention sur comment allier l’inutile à l’agréable. Bien que contrôlable, le plaisir n’est pas indestructible. Plutôt que des jouisseurs, devenons donc des esthètes. Car, comme l’écrit Daniel Pennac, « les esthètes, eux, ne débandent jamais ».
(Janvier 2007)

FLASHBACK. Phantom of the Paradise, de Brian de Palma

Difficile de parler d’un “film culte” quand il est peu connu, et pourtant. Phantom of the Paradise, sorti en 1975, seul film musical du réalisateur des Incorruptibles et de Carrie, en est bien un.

Winslow Leach, chanteur à lunette assez peu charismatique mais bourré de talent, a une idée fixe : finir d’écrire sa comédie musicale, sorte d’opéra-rock qui revisite le mythe de Faust et dans lequel un jeune homme décide de vendre son âme au diable pour devenir… une pop star. De son côté, Swan, autoproclamé « plus grand producteur du monde » cherche une musique pour ouvrir le « Paradise », sa salle de concert tant désirée, temple ultime du rock où pourront se produire les artistes de son label joyeusement intitulé Death Records. Cigare au bec et costume trois pièces rose et beige, il décide de voler l’œuvre de Winslow et de l’envoyer en prison, séjour pendant lequel le pauvre compositeur dépossédé de tout devra troquer ses belles dents pour un dentier en acier moins classieux.
Heureusement, le jeune homme arrive (dans une scène d’anthologie) à s’évader de Sing Sing et décide de revenir pour hanter le « Paradise » qui va bientôt ouvrir ses portes avec son opéra. Après l’avoir retrouvé, Swan lui fait signer un contrat qui lui permet de récrire l’opéra pour sa muse, une chanteuse prénommée Phoenix. Enfermé à double tour pendant une semaine, Winslow devenu monstrueux suite à son évasion travaille d’arrache pied. Mais Swan projette d’employer un autre chanteur à la place de Phoenix, un certain Beef, travesti paranoïaque et drogué. Encore une fois, Winslow s’aperçoit du pot-aux-roses, et décide de se venger…
Réinventant le mythe de Faust et du tout aussi mythique Fantôme de l’Opéra, Brian de Palma réussit un coup de maître en alliant le rock, le surnaturel et le kitsch sans jamais devenir grotesque. Le combat de Winslow (pourtant peu sexy) pour retrouver sa dignité nous attendrit ; Swan, sa coupe à la Dave et son mètre soixante cinq sont jouissifs de perversion et de laideur ; Phoenix, candide et mégalo à la fois, chante divinement bien ; et Beef, accroché à ses talons de drag-queen et son rail de coke, est ridicule à souhait.
La scène de fin met tout le monde d’accord. Les vengeances et rivalités se règlent dans un carnage plutôt sage pour un de Palma mais stylisé pour l’occasion : décor rococo, costumes disco et danseuses en transe envahissent la scène tandis qu’un homme présent dans le public suit les faits et gestes de Winslow, apparemment déconnecté de toute réalité. Au-delà du pouvoir de l’image, des contrats bidons et des pactes diaboliques, le film construit un monde à part. Fantastique.
(Janvier 2007)

CONCERT. Musiciens au Musée d'Orsay et la Sorbonne

En partenariat avec le Musée d'Orsay et les Concerts de Midi en Sorbonne, l'Orchestre de Paris organise un cycle de musique de chambre du 19 janvier au 16 mars. Quatre concerts sont prévus à l'auditorium du musée et à l'amphithéâtre de la Sorbonne. Après les cycles sur Mendelssohn et l'Europe musicale, l'Orchestre dirigé par Christoph Eschenbach se consacre à la musique de chambre française du XX° siècle. Seront donc à l'honneur les compositeurs Debussy, Ravel, Poulenc, Roussel et Dutilleux, lui-même célébré par l'Orchestre tout au long de l'année. Leurs oeuvres seront interprétées par les principaux solistes de l'orchestre.
(Janvier 2007)

CHANT. Alagna en ligne

Vendu à plus de 400 000 exemplaires, l'album « Roberto Alagna canta a Luis Mariano » est désormais téléchargeable sur Internet. Le ténor français y interprète des classiques du chanteur d'opérette comme Mexico, Andalucia mia ou Vaya con Dios. L'arrangeur et directeur artistique Yvan Cassar (Johnny Hallyday, Céline Dion, Mylène Farmer...) a actualisé et adapté les 17 titres de l'album, inclus 3 inédits. Un opus uniquement disponible sur les plateformes de téléchargement légales.
(Janvier 2007)