Compte-rendu de trois semaines agitées au coeur du Rajahstan.
D'un point de vue esthétique, il est presque impossible de dire que l'Inde soit un beau pays. Certes, les attractions ne manquent pas, mais il semble déplacé d'apprécier un tel endroit quand la misère étouffe le tout. L'Inde déroute, essentiellement, et c'est pour cela qu'elle séduit. Désordre, bruit et crasse jonchent les rues tandis que des hommes dorment à même le sol et que des animaux, parfois sauvages, vivent à côté. Pourtant très pauvre, parfois misérable (la traversée d'un des bidonvilles de Delhi est particulièrement éprouvante), ce pays a cependant pour règle de refuser la mendicité et le vol, y compris envers les riches touristes étrangers.
Face à cette indigence générale, la société reste très sectionnée. Les castes, au nombre de 5, perdurent, malgré l'instauration récente de quotas dans le secteur public. Les traditions séculaires et le racisme "ethnique" sont également de mise. Les communautés religieuses minoritaires cohabitent tant bien que mal avec les Hindouistes (environ deux tiers de la population). L'Islam arrive second avec 200 millions de fidèles. A noter que les Sikhs, sous représentés et extrêmisés en France, forment ici une population bien intégrée et très commerçante.
Dans les zones frontalières, quelques conflits épars éclatent encore de nos jours, sous forme d'enlèvements et parfois même de massacres organisés, comme ce fut le cas au Bengale où un village entier a été brûlé en 1995 par des militants indépendantistes locaux, tuant 600 personnes.
Le fantôme de Bollywood
Société contrastée, donc, qui néglige encore l'importance et l'intégrité des femmes. Les mariages arrangés sont monnaie courante, et l'apparence physique féminine est très codifiée (cheveux longs, sari/tunique, etc) et, chose surprenante, les femmes n'ont pas le droit de danser en public. L'image libertaire, kitsch et féérique de Bollywood est donc largement fallacieuse, d'autant plus qu'il est rare de trouver une spectatrice dans les salles obscures.
En milieu rural, la gente féminine (y compris non musulmane) se couvre le visage en seule présence d'un homme. Et c'est à Bénarès, ville sacro-sainte, que le phénomène est vraiment saisissant: toutes les Musulmanes y portent l'abaya complète, triple voile noir qui ne laisse "respirer" que les yeux. Près de la frontière pakistanaise, une femme venant d'ouvrir un magasin de vêtements me racontait les insultes reçues "pour la simple raison qu'elle souhaitait acquérir plus d'indépendance", insultes accompagnées de la mise à sac de son échoppe.
L'éducation est un autre domaine crucial où le sexisme persiste. Souvent contraintes de participer aux travaux agricoles, les jeunes filles de la campagne sont souvent tenues de ne pas fréquenter les locaux scolaires, pourtant de plus en plus accessibles. Seul un tiers arrive jusqu'au lycée, l'analphabétisme guette le reste d'entre elles.
Un amour platonique
L'Inde possède un potentiel économique immense, encore peu exploité à grande échelle. En tant que pays du Tiers Monde, elle reste dans le besoin et dans l'urgence. Mais son développement doit rester alerte et prudent, au risque de s'imbiber d'une culture occidentale difficilement compatible avec ses traditions et structures de pensée antédiluviennes. Potentiellement jaloux de l'abondance et des consolations qu'offre les modèle capitaliste, ce gigantesque îlot d'histoire, encore méconnu des économistes comme des philosophes, risque autrement se consumer sans avoir pu s'adapter à ces transformations inévitables.
Mon exploration de ce monde incongru, aux ambitions aussi peu mystiques que prosélytes, a provoqué chez moi un déracinement insoupçonné et m'a donné l'opportunité rare de repenser en profondeur les grands mécanismes de nos sociétés contemporaines. Croissance, accumulation et développement inconditionnel deviennent autant de mots superflus et vides de sens.
Le contact que j'ai eu avec cette terre rendue à l'indépendance depuis seulement un demi siècle a créé, de par sa spontanéité et son étrangeté, un vrai choc des cultures, mais jamais un affrontement. J'ai développé avec l'Inde un amour platonique, pourtant défloré. Mais il reste difficile pour une jeune Occidentale, peau claire et cheveux ras, de s'intégrer à ce pays aux dimensions de continent. Pays mythique, pays mystique, l'Inde reste donc inépuisable, bien que fragile.
Septembre 2005
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