Wednesday

CYCLE BIZARRE. Le corps dans tous ses états


Le musée de l’érotisme émoustille, celui de la marine assomme. Le musée Dupuytren a quant à lui le don de nous émerveiller, mais d'une façon bien particulière.
Tout commence Rue de l’Ecole de médecine, où repose depuis des siècles la mythique faculté de médecine de Paris. Un lieu quasi sacré que le visiteur profane foule d’un pied pénitent, avant de trouver au fond, bien cachée, la porte exigüe et non moins inquiétante qui amène (du moins, faut-il le croire) à la caverne aux merveilles dont il est question ici.
« Sonner ». Sonnez. La porte s’ouvre –ô miracle- sur un quinquagénaire à l’apparence normale, qui sera votre guide pour une petite heure. L’homme vous conduit à travers un couloir (qui fait aussi office de bureau et de bibliothèque) débouchant in fine sur la salle tant attendue.
La pièce est unique, presque carrée, assez grande. Partout, des bocaux verdâtres derrière d'étranges vitrines, et tout autour, comme un péristyle un peu macabre, des objets de cire représentant différentes parties du corps humain. Le décor est repoussant, un brin suspect ; vous voulez repartir, rejoindre la civilisation, mais une voix intérieure –celle de la curiosité ? de la compromission ?- vous dit que quelque chose se cache derrière tout ce fatras, au-delà de l’apparente horreur des cerveaux et des cœurs qui trônent devant vous, baignant dans le formol, heureusement immobiles.
La visite peut enfin débuter. Au menu, hémorragies cérébrales, donc, grains de beauté géants (recouvrant tout le visage), kystes de 60 kilos, infarctus divers (votre guide commente à ce sujet : « Le cœur est totalement baigné de sang. Regardez, un boucher ne ferait pas mieux ! »), têtes anencéphales (comprenez : sans cerveau), véritables fœtus-cyclopes, rates de 2 kilos (dix fois leur poids habituel), fœtus à deux têtes, squelettes de rachitiques, sexes d’hermaphrodites, crânes en tous genres… La palme du mauvais goût revenant à la tumeur pileuse de l’estomac, due à l’ingurgitation très répétée -et pathologique- de cheveux (l’organe a donc pris l’aspect d’un estomac entièrement recouvert de poils). Des cas exceptionnels de pathologies qui prouvent, à leur insu, que la nature a parfois plus d’imagination que les humains.
Mais s’arrêter à ce stade d’observation serait à la fois un peu simple, et bien dommage. Car la visite guidée permet également, sinon de comprendre, du moins d’apprendre en quoi ce musée peut être utile à la science. On apprend donc, pêle-mêle, que la rate est comme un « cimetière à globules rouges » ; que les noms des maladies n’ont été, pour la plupart, attribués qu’au 19° siècle ; que le mot « infarctus » signifie « farci de sang » ; que la vitamine D n’a été découverte qu’au début du XX° siècle ; que le premier rayon X utilisé date de 1895 (l’alliance de la femme du chercheur qui en a fait la découverte est encore perceptible sur la photo) ; qu’il a fallu attendre l’après seconde guerre mondiale pour qu’une femme enseigne à la fac de médecine ; que la première anesthésie (sous protoxyde d’azote, un gaz hilarant) remonte à 1846 ; que 10% des morts de femme en couche au 19° siècle étaient en fait dus à des pneumonies, etc…
On apprend également que la médecine arrive parfois s'écarter de la science pure. Ainsi, Percival Pott, chirurgien anglais du 18° siècle, a-t-il détecté « d’instinct » (mais ce mot-là fait peur dans un domaine si balisé) le premier cancer professionnel : la « maladie des petits ramoneurs » (un cancer prématuré des testicules) touchait des enfants employés pour nettoyer les immenses conduits de cheminée dans l’Angleterre de la première révolution économique. Sans le savoir, Pott avait découvert les effets cancérigènes du charbon, ce que mettront en évidence des chercheurs japonais plus d’un siècle et demi après lui.
Si le musée Dupuytren n’est pas un embarquement pour Cythère, c’est du moins une formidable invitation au voyage dans la plus belle usine à bizarreries qui soit au monde : le corps humain.

Décembre 2007

1 comment:

Anonymous said...

quand on y est allé c'était vraiment étrange : la dame de l'entrée avait mis du temps à venir et on avait resonné : un cri d'agacement avait alors retenti...
le frère de pauline avait trouvé cela trop cool. moi je m'étais arrêtée sur les colonnes vertébrales complètement torsadées///