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ANNIVERSAIRE. Wolfgang Amadeus Mozart


Mozart aurait eu 250 ans cette année. Ressuscité le temps d’une interview fictive, ce compositeur de génie se livre sans pudeur ni tabou.

Commençons par la fin, si vous le permettez. Vous êtes mort à 36 ans, à Vienne. Peut-on savoir exactement de quoi?
De quoi exactement, je ne saurais le dire moi-même. J’ai cru un temps que l’on m’avait empoisonné à l’aqua tofana (un poison utilisé au XVIII° siècle, ndlr). J’ai d’ailleurs fait part de cette pensée à ma femme avant de succomber. Cela dit, je n’ai aucun moyen de le prouver. J’étais de toute façon exténué par tout le travail que je fournissais depuis des mois, et ma santé s’était fortement dégradée. Ajouté à cela, mes reins ont toujours été faibles. Il est donc possible que je sois mort d’une simple urémie, à force d’épuisement.

Certains affirment que c’est le compositeur italien Salieri, qui était votre adversaire à la Cour d’Autriche, qui est responsable de votre mort. Que pensez-vous de cette hypothèse ?
Salieri et moi avions effectivement des relations difficiles, souvent tendues, à Vienne. Il était très jaloux de moi, en dépit de ses succès et de son statut auprès de la Cour, qui étaient bien meilleurs que les miens. Mais de là à prétendre qu’il m’aurait assassiné, c’est de la pure fantaisie. Nous n’avons jamais été de véritables ennemis. Seulement, nous avions des tempéraments très différents, et des ambitions semblables. Il est difficile de faire cohabiter les deux.

Vous avez consacré toute votre vie à la musique et à la composition. A quel âge cette passion vous est-elle venue ?
Aussi loin que remonte ma mémoire. Dès l’âge de deux ans mon père m’a initié à la musique. Quand j’avais cinq ans, il m’a assis devant un clavecin et m’a appris les rudiments du jeu. J’ai tout de suite montré des capacités hors du commun. J’avais l’oreille absolue, et une mémoire extraordinaire, et j’ai profité de ces facultés durant toute ma vie. Je me rappelle d’une anecdote. J’avais à peine 12 ans et je me trouvais à Rome. Je me baladais sans autorisation près de la Chapelle Sixtine, quand j’ai entendu une musique sublime au travers d’une porte. Je suis resté à l’écouter là pendant plus d’une heure, évidemment sans autorisation. C’était le Miserere (d’Allegri, ndlr), une œuvre a capella interdite de diffusion ou de reproduction en dehors de la Sixtine. Une fois le concert terminé, j’ai bravé l’interdit, je suis rentré chez moi et j’ai écrit de mémoire l’intégralité ce que j’avais ouï, malgré les risques d’excommunication qui pesaient sur moi. Ce fut un jeu d’enfant. Mais vous savez, à cet âge j’avais déjà composé mon premier opéra !

On sent que votre père a été une figure majeure dans votre vie. Quelle place occupait-il précisément ?
Vivant, c’est lui qui m’a fait découvrir la musique, et c’est lui qui était mon tuteur. J’ai beaucoup voyagé avec lui étant enfant, lors de tournées organisées partout en Europe, où je jouais devant les plus grandes personnalités du moment. Ma mère est morte quand j’avais 22 ans, j’étais déjà un adulte, mais c’est toujours mon père qui s’est chargé de moi. Il était strict, mais c’est grâce à lui et à ses efforts que j’ai fini par m’introduire à la Cour d’Autriche. Je tiens à préciser qu'un tel accomplissement était rarissime pour un Autrichien, puisqu'à l'époque les compositeurs italiens dominaient l’Europe toute entière. La mort de mon père m’a profondément marqué. J’avais déjà 31 ans, c’est arrivé lorsque je composais Don Giovanni, à Prague. J’ai beaucoup pleuré.

A ce propos, le personnage du Commandeur dans cet opéra s'apparente à celui de votre père, spectre revenant des Enfers qui vous hante encore après sa mort. Partagez-vous également cette opinion ?
La figure du Commandeur est effectivement double, mais je n’y ai jamais volontairement accolé l’image de mon père défunt. D’abord, c’est un personnage qui existe dans la pièce indépendamment du reste. Et à mon sens, il représente avant tout la morale, et non la mort. C’est lui qui vient hanter Don Juan et le sommer de cesser ses agissements obscènes.

D'une manière générale, la mort a occupé une place prépondérante dans votre œuvre, comme dans votre vie…
Pas plus que dans la vie de n’importe qui. Cela dit, il est vrai que j’avais avec l’idée de mort un rapport plutôt désangoissé. La musique y était pour beaucoup. Dans une lettre que j’ai écrite à mon père, je lui disais que l’idée de mort avait toujours été une « vieille compagne » pour moi. Cette idée, je l’ai retranscrite dans mon dernier opéra, La Flûte Enchantée : « Par la force de la musique nous pourrons avancer joyeux au travers de la sombre nuit de la mort ». Je cite ce vers de mémoire. Il résume parfaitement l’idée que je me fais de la mort, comme de la musique.

Vous avez composé, en à peine trente ans, des centaines d’œuvres, dont 22 opéras. N'avez-vous pas quand même des préférences pour certaines d’entre elles ?
Je me suis toujours appliqué dans ce que j’ai composé, même lorsqu’il s’agissait de musiques bénignes. Je ne sais pas peindre, je ne sais pas bien parler, mais avec la musique, je peux tout dire. Il est par conséquent très difficile pour moi de hiérarchiser mon travail, puisque je l’ai toujours fait avec passion et application. Mais si je devais sélectionner une d’entre elles, je pense que c’est Don Giovanni que je choisirais. Et peut-être également le Requiem.

La postérité vous reconnait comme un des trois plus grands compositeurs de tous les temps. Pourtant, vos relations avec vos contemporains n’étaient pas au beau fixe… Comment les avez-vous vécues ?
Je n’ai jamais vraiment douté de moi. J’ai toujours été convaincu de mon génie, je ne m’en cachais pas. Je ne jalousais aucun de mes collègues. En revanche, j’ai beaucoup souffert de la jalousie des autres. Mon caractère acerbe et obsessionnel ne devait pas plaire à tout le monde ! Mais malgré la jalousie que je pouvais inspirer, c’est plutôt la noblesse viennoise qui m’a mené la vie dure. Un scandale sans précédent a surgi avec la représentation des Noces de Figaro. Le ridicule du comte et la satire sociale en fond de cette œuvre ont à jamais attiré les foudres de cette caste que je méprisais profondément. Je ne m’en suis jamais relevé. Jouant de leurs relations, les personnalités haut placées ont par la suite toujours veillé à ce que mes salaires soient diminués, ou que je n’obtienne pas les postes auxquels je pouvais prétendre. C’est également à ce moment que j’ai perdu tous mes élèves.

Vous avez refusé un poste fixe à Londres. Pourquoi ?
J’étais convaincu que le plus grand des compositeurs se devait de servir le plus grand des monarques. Il m’était donc impossible de quitter Vienne, véritable cœur de l’Europe au XVIII° siècle. De toutes façons, je n’étais ni esseulé ni au ban de la société intellectuelle viennoise. Je fréquentais les loges maçonniques, ces communautés éclairées d’opposition qui oeuvraient contre la noblesse. J’ai toujours eu foi dans l’idée de « despotisme éclairé », d’ailleurs mes opéras mettent toujours en scène des hommes de pouvoir forts mais raisonnés et justes. J’aimais beaucoup Joseph II pour cela (l’empereur d’Autriche de l’époque, ndlr). Malgré les réticences de l’aristocratie, il m’a nommé compositeur de la Cour, avec un salaire, il est vrai, misérable. Il protégeait les loges, aussi. Vous savez, en France, ce sont en grande partie les Francs Maçons qui ont permis la Révolution en 1789. Je regrette de n’avoir pas pu être présent pour la fin de cette entreprise…

Vous avez donc écrit pour ce monarque pendant plusieurs années. Mais n’avez-vous jamais écrit pour une femme ?
Chacun de mes opéras compte en moyenne six personnages de femme, et il n’est pas un rôle pour lequel je n’ai pas écrit spécialement pour l’une d’entre elles. J’ai beaucoup travaillé avec des chanteuses, et j’avais une affection toute particulière pour Madame Tretner. En dehors du champ musical, j’ai également fréquenté nombre de personnalités féminines, que je n’ ai pas toutes conquises, loin s’en faut ! J’aimais profondément ma femme, qui m’est restée fidèle jusqu’à ma mort, mais je dois avouer que j’ai aimé bien plus de femmes que je n’ai eu de maîtresses.

Aviez-vous une idée de ce que pourrait devenir la musique après vous ?
Au XVIII° siècle, il n’existait presque qu’un style de musique, et c’était la musique classique ! Je ne me souciais guère de son futur. En revanche, les futures incarnations de la musique m’intéressaient. Je me rappelle avoir rencontré Beethoven quand il avait dix sept ans. Il était au piano et jouait à merveille. Devant ce génie, j’ai bien compris que prendre ma relève serait plus aisé qu’il n’y paraissait à l’époque ! Et surtout, Beethoven s’est vite révélé plus libre que je ne l’étais. Il a refusé de se plier aux commandements des puissants. Je n’ai pas voulu prendre un tel risque, même s’il est vrai que j’avais un caractère fort qui m’interdisait la complaisance et la flatterie.

Vos dernières années ont été sombres et éprouvantes. Pouvez-vous nous les raconter ?
Après les divers scandales qui m’ont touché et les mesures prises contre moi, mes finances se sont très vite amaigries, d’autant plus que je dépensais l’argent sans y prêter vraiment garde. En 1788, j’ai déménagé cinq fois. En 1789, j’ai composé Cosi Fan Tutte pour Joseph II, mais je bénéficiais d’une rémunération dérisoire. L’hiver 1790, ma femme et moi n’avions pas assez d’argent pour nous chauffer. Et en 1791, suite à l’opéra La Clémence de Titus, les scandales ont repris. Le coup fatal m’a été porté avec la commande du Requiem. L’ironie du sort aura voulu que cette messe des morts soit mon dernier chef d’œuvre. Cependant, le lendemain de mon décès, mon protecteur a été jeté en prison à cause de mon dernier opéra, et j’aurais sûrement subi le même sort. Mourir est donc peut-être ce que j’avais de mieux à faire !

Le Requiem est votre ultime chef d’oeuvre, certes, mais il est resté inachevé par vous… Pouvez-vous lever le mystère quant à son écriture ?
Avec plaisir, et je peux même vous faire part d’un secret ! Parlons un peu technique. J’ai très peu composé d’œuvres en Ré mineur. C’est une tonalité très particulière, surtout utilisée dans les chants grégoriens. Elle est profonde, évoque des notions de deuil, de forte spiritualité. Je n’ai écrit que trois œuvres dans cette tonalité. Vous aurez sans doute remarqué qu’il existe au fil du Requiem un thème récurrent, une mélodie en Ré mineur cachée derrière les notes. Ce thème, je l’ai emprunté à un chant grégorien que j’ai entendu lors de l’enterrement de ma mère, en 1778. Je l’ai gardé en mémoire pendant une quinzaine d’année, et je ne l’ai utilisé que cette fois. Quant à l’écriture même de cette messe des morts, la fatigue m’a contraint à lâcher la plume au début du Lacrimosa. Mais j’ai bien dicté la fin à mon élève, Franz Sussmayr. Six jours après, le Requiem était joué dans une église à Vienne. De quoi donner tort à ceux qui prétendent que l’œuvre n’est que partiellement de moi.

A vous entendre, vous vous êtes sciemment dirigé vers l’abîme. N’avez-vous tout de même pas un remord ?
Pas de remord, non, juste le regret de n’avoir pas obtenu les postes auxquels un compositeur de mon acabit aurait pu prétendre. Mais Dieu a reconnu les siens. L’Histoire m’a donné raison !

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