Saturday

CONCERT. La musique-phénix de Betsy Jolas


La compositrice franco-américaine Betsy Jolas est à l’honneur du 6 au 10 décembre à la Cité de la musique. Influencée par le sérialisme, Roland de Lassus et Claude Debussy, ayant rencontré Stravinsky à quinze ans, elle a participé de manière active à la révolution musicale de la seconde moitié du XX° siècle. Ses œuvres aux sonorités toutes modernes seront jouées parmi celles des classiques du répertoire de Schumann, Purcell ou Brahms.
Octobre 2006

CINEMA. Charlot en concert


Dans le cadre du cycle Les Temps Modernes qui aura lieu du 24 octobre au 7 novembre, la Cité de la Musique organise deux « ciné-concerts » les 24 et 25 de ce mois. A l'affiche : Charlie Chaplin et deux de ses chefs-d'oeuvre, Les Lumières de la Ville (1931) et Les Temps Modernes (1936), film muet réalisé après la naissance du cinéma parlant. La projection aura lieu sur écran géant en présence d'un orchestre jouant en direct les musiques composées par Chaplin lui-même. Parmi celles-ci figurent les thèmes les plus fameux du réalisateur, du déjeuner loufoque des Temps Modernes à celui, plus douloureux, de la fleuriste aveugle des Lumières... Elles seront jouées par l'orchestre de la Radio Flamande et dirigées par Carl Davis.
Octobre 2006

Friday

RENCONTRE. Jérôme Saltet, co-fondateur du groupe PlayBac

Le regard est franc, la posture, sympathique, et le ton enjoué. Jérôme Saltet, à la tête d’une entreprise dont le chiffre d’affaire tutoie les 30 millions d’euros, a l’air heureux, simplement. Sans prétention, il raconte son parcours. Il évoque successivement les bancs de Sciences Po (ceux du fond, de préférence), ses premières amours professionnelles contrariées, les hasards, parfois les hasardements : une élection perdue et son boulot d’attaché parlementaire avec, un entretien d’embauche avec un directeur cloîtré dans sa Ferrari, sa courte carrière de rugbyman presque professionnel.

Puis, il en vient à l’entreprise de sa vie, le groupe Playbac, aujourd’hui leader français du secteur ludo-éducatif. Cela fait en effet vingt ans que lui et ses deux amis d’enfance, François Dufour et Antoine Recher, forment un triumvirat exemplaire. Leur fil rouge : le développement de projets éditoriaux à la fois pédagogiques et divertissants pour les jeunes, dans un domaine où les pouvoirs publics ont effectivement souvent du mal à joindre les deux bouts. Plaire et instruire, disait Molière ; c’est maintenant chose faite.

Après avoir remporté le premier Prix du Salon du Jeu en 1986, le groupe n’a cessé de s’accroître, sans pour autant renoncer à ses principes fondateurs. Ainsi, lancé sous le slogan « Auriez-vous le Bac aujourd’hui ? », le jeu Playbac, qui présentait « 5000 questions pour passer le Bac », visait aussi bien les bacheliers prospectifs que les adultes désireux de retrouver leur jeunesse le temps d’un quizz. Pour populariser leur trouvaille, ces trois collègues et complices ont même « refait passer le Bac » à certains hommes politiques de l’époque, profitant de leurs relations créées rue Saint Guillaume.

Depuis, la boîte a fait des petits : création de nouveaux jeux-questionnaires (comme Brain Quest), publication de quatre quotidiens pour enfants et adolescents (Mon Quotidien, l’Actu…), future implantation aux Etats Unis. Mais c’est surtout avec la série des Incollables, encore vendus à 600 000 exemplaires chaque année, qu’elle a marqué toute une génération de têtes blondes, au milieu de la décennie 90.

Qu'on se le dise, Jérôme Saltet fait partie de ces noms propres qui se déclinent toujours au pluriel. Car l’entreprise qu’il a montée avec « François » et « Arnaud » est bien le résultat d’une ambition collective, d’un désir fort et réfléchi de partager une passion, un travail, un avenir, et même un salaire. Mais si certains ont besoin d'un éclair de génie pour trouver une recette qui marche, eux s'y sont pris différemment : pas d' "Eurêka!" poussé du fond de leur baignoire, mais plutôt le choix de faire maturer plusieurs mois le concept avant qu'il ne voie définitivement le jour, dans un train. En Octobre 1985, le projet avait ainsi pris forme ; en janvier 1986, l’entreprise était créée ; et la même année, notamment grâce au Prix du Salon du Jeu, le succès était au rendez-vous.

Doit-on en conclure que cette carrière constitue un sans fautes ? Jérôme Saltet n’est pas si enthousiaste. D’abord, il y a eu quelques ratés, des produits qui n’ont pas suffisamment plu, comme Brain Quest. Ensuite, il y a eu l’essoufflement rapide du jeu PlayBac, et la légitime déception de voir un tel succès fané si rapidement. Enfin, il y a eu des projets irréalisables, parce-que trop coûteux ou trop aventureux, et surtout un projet revendu à contrecoeur, Bien Joué. La vraie, peut-être la seule grande déception de Jérôme Saltet depuis la création de la boîte.

De cette rencontre surgit une conclusion presque évidente: pour réussir, nul besoin de coup de génie. A l’instar de PlayBac, on peut être convaincu que c'est avant tout l’envie de créer et de construire qui prévalent. Une leçon de vie finalement pleine d’humilité et de bon sens.

Monday

ANNIVERSAIRE. Wolfgang Amadeus Mozart


Mozart aurait eu 250 ans cette année. Ressuscité le temps d’une interview fictive, ce compositeur de génie se livre sans pudeur ni tabou.

Commençons par la fin, si vous le permettez. Vous êtes mort à 36 ans, à Vienne. Peut-on savoir exactement de quoi?
De quoi exactement, je ne saurais le dire moi-même. J’ai cru un temps que l’on m’avait empoisonné à l’aqua tofana (un poison utilisé au XVIII° siècle, ndlr). J’ai d’ailleurs fait part de cette pensée à ma femme avant de succomber. Cela dit, je n’ai aucun moyen de le prouver. J’étais de toute façon exténué par tout le travail que je fournissais depuis des mois, et ma santé s’était fortement dégradée. Ajouté à cela, mes reins ont toujours été faibles. Il est donc possible que je sois mort d’une simple urémie, à force d’épuisement.

Certains affirment que c’est le compositeur italien Salieri, qui était votre adversaire à la Cour d’Autriche, qui est responsable de votre mort. Que pensez-vous de cette hypothèse ?
Salieri et moi avions effectivement des relations difficiles, souvent tendues, à Vienne. Il était très jaloux de moi, en dépit de ses succès et de son statut auprès de la Cour, qui étaient bien meilleurs que les miens. Mais de là à prétendre qu’il m’aurait assassiné, c’est de la pure fantaisie. Nous n’avons jamais été de véritables ennemis. Seulement, nous avions des tempéraments très différents, et des ambitions semblables. Il est difficile de faire cohabiter les deux.

Vous avez consacré toute votre vie à la musique et à la composition. A quel âge cette passion vous est-elle venue ?
Aussi loin que remonte ma mémoire. Dès l’âge de deux ans mon père m’a initié à la musique. Quand j’avais cinq ans, il m’a assis devant un clavecin et m’a appris les rudiments du jeu. J’ai tout de suite montré des capacités hors du commun. J’avais l’oreille absolue, et une mémoire extraordinaire, et j’ai profité de ces facultés durant toute ma vie. Je me rappelle d’une anecdote. J’avais à peine 12 ans et je me trouvais à Rome. Je me baladais sans autorisation près de la Chapelle Sixtine, quand j’ai entendu une musique sublime au travers d’une porte. Je suis resté à l’écouter là pendant plus d’une heure, évidemment sans autorisation. C’était le Miserere (d’Allegri, ndlr), une œuvre a capella interdite de diffusion ou de reproduction en dehors de la Sixtine. Une fois le concert terminé, j’ai bravé l’interdit, je suis rentré chez moi et j’ai écrit de mémoire l’intégralité ce que j’avais ouï, malgré les risques d’excommunication qui pesaient sur moi. Ce fut un jeu d’enfant. Mais vous savez, à cet âge j’avais déjà composé mon premier opéra !

On sent que votre père a été une figure majeure dans votre vie. Quelle place occupait-il précisément ?
Vivant, c’est lui qui m’a fait découvrir la musique, et c’est lui qui était mon tuteur. J’ai beaucoup voyagé avec lui étant enfant, lors de tournées organisées partout en Europe, où je jouais devant les plus grandes personnalités du moment. Ma mère est morte quand j’avais 22 ans, j’étais déjà un adulte, mais c’est toujours mon père qui s’est chargé de moi. Il était strict, mais c’est grâce à lui et à ses efforts que j’ai fini par m’introduire à la Cour d’Autriche. Je tiens à préciser qu'un tel accomplissement était rarissime pour un Autrichien, puisqu'à l'époque les compositeurs italiens dominaient l’Europe toute entière. La mort de mon père m’a profondément marqué. J’avais déjà 31 ans, c’est arrivé lorsque je composais Don Giovanni, à Prague. J’ai beaucoup pleuré.

A ce propos, le personnage du Commandeur dans cet opéra s'apparente à celui de votre père, spectre revenant des Enfers qui vous hante encore après sa mort. Partagez-vous également cette opinion ?
La figure du Commandeur est effectivement double, mais je n’y ai jamais volontairement accolé l’image de mon père défunt. D’abord, c’est un personnage qui existe dans la pièce indépendamment du reste. Et à mon sens, il représente avant tout la morale, et non la mort. C’est lui qui vient hanter Don Juan et le sommer de cesser ses agissements obscènes.

D'une manière générale, la mort a occupé une place prépondérante dans votre œuvre, comme dans votre vie…
Pas plus que dans la vie de n’importe qui. Cela dit, il est vrai que j’avais avec l’idée de mort un rapport plutôt désangoissé. La musique y était pour beaucoup. Dans une lettre que j’ai écrite à mon père, je lui disais que l’idée de mort avait toujours été une « vieille compagne » pour moi. Cette idée, je l’ai retranscrite dans mon dernier opéra, La Flûte Enchantée : « Par la force de la musique nous pourrons avancer joyeux au travers de la sombre nuit de la mort ». Je cite ce vers de mémoire. Il résume parfaitement l’idée que je me fais de la mort, comme de la musique.

Vous avez composé, en à peine trente ans, des centaines d’œuvres, dont 22 opéras. N'avez-vous pas quand même des préférences pour certaines d’entre elles ?
Je me suis toujours appliqué dans ce que j’ai composé, même lorsqu’il s’agissait de musiques bénignes. Je ne sais pas peindre, je ne sais pas bien parler, mais avec la musique, je peux tout dire. Il est par conséquent très difficile pour moi de hiérarchiser mon travail, puisque je l’ai toujours fait avec passion et application. Mais si je devais sélectionner une d’entre elles, je pense que c’est Don Giovanni que je choisirais. Et peut-être également le Requiem.

La postérité vous reconnait comme un des trois plus grands compositeurs de tous les temps. Pourtant, vos relations avec vos contemporains n’étaient pas au beau fixe… Comment les avez-vous vécues ?
Je n’ai jamais vraiment douté de moi. J’ai toujours été convaincu de mon génie, je ne m’en cachais pas. Je ne jalousais aucun de mes collègues. En revanche, j’ai beaucoup souffert de la jalousie des autres. Mon caractère acerbe et obsessionnel ne devait pas plaire à tout le monde ! Mais malgré la jalousie que je pouvais inspirer, c’est plutôt la noblesse viennoise qui m’a mené la vie dure. Un scandale sans précédent a surgi avec la représentation des Noces de Figaro. Le ridicule du comte et la satire sociale en fond de cette œuvre ont à jamais attiré les foudres de cette caste que je méprisais profondément. Je ne m’en suis jamais relevé. Jouant de leurs relations, les personnalités haut placées ont par la suite toujours veillé à ce que mes salaires soient diminués, ou que je n’obtienne pas les postes auxquels je pouvais prétendre. C’est également à ce moment que j’ai perdu tous mes élèves.

Vous avez refusé un poste fixe à Londres. Pourquoi ?
J’étais convaincu que le plus grand des compositeurs se devait de servir le plus grand des monarques. Il m’était donc impossible de quitter Vienne, véritable cœur de l’Europe au XVIII° siècle. De toutes façons, je n’étais ni esseulé ni au ban de la société intellectuelle viennoise. Je fréquentais les loges maçonniques, ces communautés éclairées d’opposition qui oeuvraient contre la noblesse. J’ai toujours eu foi dans l’idée de « despotisme éclairé », d’ailleurs mes opéras mettent toujours en scène des hommes de pouvoir forts mais raisonnés et justes. J’aimais beaucoup Joseph II pour cela (l’empereur d’Autriche de l’époque, ndlr). Malgré les réticences de l’aristocratie, il m’a nommé compositeur de la Cour, avec un salaire, il est vrai, misérable. Il protégeait les loges, aussi. Vous savez, en France, ce sont en grande partie les Francs Maçons qui ont permis la Révolution en 1789. Je regrette de n’avoir pas pu être présent pour la fin de cette entreprise…

Vous avez donc écrit pour ce monarque pendant plusieurs années. Mais n’avez-vous jamais écrit pour une femme ?
Chacun de mes opéras compte en moyenne six personnages de femme, et il n’est pas un rôle pour lequel je n’ai pas écrit spécialement pour l’une d’entre elles. J’ai beaucoup travaillé avec des chanteuses, et j’avais une affection toute particulière pour Madame Tretner. En dehors du champ musical, j’ai également fréquenté nombre de personnalités féminines, que je n’ ai pas toutes conquises, loin s’en faut ! J’aimais profondément ma femme, qui m’est restée fidèle jusqu’à ma mort, mais je dois avouer que j’ai aimé bien plus de femmes que je n’ai eu de maîtresses.

Aviez-vous une idée de ce que pourrait devenir la musique après vous ?
Au XVIII° siècle, il n’existait presque qu’un style de musique, et c’était la musique classique ! Je ne me souciais guère de son futur. En revanche, les futures incarnations de la musique m’intéressaient. Je me rappelle avoir rencontré Beethoven quand il avait dix sept ans. Il était au piano et jouait à merveille. Devant ce génie, j’ai bien compris que prendre ma relève serait plus aisé qu’il n’y paraissait à l’époque ! Et surtout, Beethoven s’est vite révélé plus libre que je ne l’étais. Il a refusé de se plier aux commandements des puissants. Je n’ai pas voulu prendre un tel risque, même s’il est vrai que j’avais un caractère fort qui m’interdisait la complaisance et la flatterie.

Vos dernières années ont été sombres et éprouvantes. Pouvez-vous nous les raconter ?
Après les divers scandales qui m’ont touché et les mesures prises contre moi, mes finances se sont très vite amaigries, d’autant plus que je dépensais l’argent sans y prêter vraiment garde. En 1788, j’ai déménagé cinq fois. En 1789, j’ai composé Cosi Fan Tutte pour Joseph II, mais je bénéficiais d’une rémunération dérisoire. L’hiver 1790, ma femme et moi n’avions pas assez d’argent pour nous chauffer. Et en 1791, suite à l’opéra La Clémence de Titus, les scandales ont repris. Le coup fatal m’a été porté avec la commande du Requiem. L’ironie du sort aura voulu que cette messe des morts soit mon dernier chef d’œuvre. Cependant, le lendemain de mon décès, mon protecteur a été jeté en prison à cause de mon dernier opéra, et j’aurais sûrement subi le même sort. Mourir est donc peut-être ce que j’avais de mieux à faire !

Le Requiem est votre ultime chef d’oeuvre, certes, mais il est resté inachevé par vous… Pouvez-vous lever le mystère quant à son écriture ?
Avec plaisir, et je peux même vous faire part d’un secret ! Parlons un peu technique. J’ai très peu composé d’œuvres en Ré mineur. C’est une tonalité très particulière, surtout utilisée dans les chants grégoriens. Elle est profonde, évoque des notions de deuil, de forte spiritualité. Je n’ai écrit que trois œuvres dans cette tonalité. Vous aurez sans doute remarqué qu’il existe au fil du Requiem un thème récurrent, une mélodie en Ré mineur cachée derrière les notes. Ce thème, je l’ai emprunté à un chant grégorien que j’ai entendu lors de l’enterrement de ma mère, en 1778. Je l’ai gardé en mémoire pendant une quinzaine d’année, et je ne l’ai utilisé que cette fois. Quant à l’écriture même de cette messe des morts, la fatigue m’a contraint à lâcher la plume au début du Lacrimosa. Mais j’ai bien dicté la fin à mon élève, Franz Sussmayr. Six jours après, le Requiem était joué dans une église à Vienne. De quoi donner tort à ceux qui prétendent que l’œuvre n’est que partiellement de moi.

A vous entendre, vous vous êtes sciemment dirigé vers l’abîme. N’avez-vous tout de même pas un remord ?
Pas de remord, non, juste le regret de n’avoir pas obtenu les postes auxquels un compositeur de mon acabit aurait pu prétendre. Mais Dieu a reconnu les siens. L’Histoire m’a donné raison !

Saturday

CONTE MUSICAL. Une princesse au pays des merveilles

Kofoni, une jeune princesse muette, tombe dans le tuba d'un jeune musicien qu'elle a pris pour un soleil. Telle une Alice, elle se retrouve au pays des merveilles musicales de l'Orchestre National d'Ile-de-France. Ce conte musical inventé par Ivan Grinberg et Marc-Olivier Dupin place l'orchestre au coeur de l'histoire et fait de chaque instrument un personnage féerique à part entière. Le chef d'orchestre de ce voyage musical, Christophe Mangou, dirige la récitante Dominique Reymond sur un répertoire allant de créations contemporaines aux classiques de Beethoven ou Berlioz.
La Princesse Kofoni
Mardi 24 octobre 2006 à 19h30

Octobre 2006

Friday

FESTIVAL. Dernières ballades à Ambronay


Le 27ième festival international de musiques anciennes d’Ambronay se termine demain, après quatre semaines d’activité consacrées aux sonorités encore peu explorées d’Europe Centrale.
Simplement intitulée « Ballades en Bohême », cette manifestation culturelle aux multiples facettes a eu pour vocation de montrer comment diverses cultures ont pu s’entrecroiser dans cette région obscure que traversent aussi bien de profondes forêts que des villes au passé prodigieux, telles que Prague ou encore l’incontournable Vienne.
Une trentaine de concerts aux répertoires très variés, allant de la Renaissance au folklore traditionnel, ont été joués. Deux scènes spéciales ont accueilli les performances : l’une située dans une abbatiale millénaire à l’acoustique exceptionnelle, et l’autre sous un chapiteau spécialement monté pour l’occasion et joliment baptisé « la Roulotte ». Les sonorités de Haydn s’y sont donc entrechoquées avec celles de compositeurs orientaux moins célèbres tels que Josef Myslivecek, pourtant surnommé en Europe Centrale « le Mozart de Prague ». Du Mozart, le public pourra aussi en écouter avec la représentation de son Requiem, joué demain en prélude à une autre messe des morts, celle de son ennemi fantasmé Antonio Salieri. Ironie du sort ou clin d’œil teinté d’humour noir, il s’avère que l’on célèbre cette année les 250 ans de la naissance du compositeur autrichien.
Egalement invités à ce festival, le cinéaste algérien Tony Gatlif, passionné des Balkans, ainsi qu’un ensemble turc jouant d’instruments arabes traditionnels. Par ailleurs, des ateliers pédagogiques ont été organisés permettant à la jeune génération de découvrir les musiques anciennes et d’assister gratuitement aux répétitions.
Récemment popularisée par le metteur en scène Emir Kusturica, rendue incontournable depuis l’élargissement européen, la Bohême se révèle donc comme un carrefour culturel en permanente effervescence, entre peuples et musique, entre histoire et traditions. Parfois saltimbanque, la musique d’Europe Centrale est tout à l’image de ses auteurs et interprètes : nomade, plurielle et pleine d’émotion. Profiter de ces sonorités incongrues est une façon rare et profonde de percevoir ce qui se cache au creux du Danube.
Octobre 2006

Tuesday

CONCERT. Un Zimmerman(n) au Théâtre de la Ville


Les musiciens du "Café Zimmermann" sont invités au Théâtre de la Ville le 25 Novembre pour y jouer du Carl Philipp Emmanuel Bach, deuxième fils de Jean Sébastien Bach. Rien à voir donc avec un autre "Zimmerman", plus connu sous le nom de Bob Dylan: Gottfried Zimmermann n'était autre que le propriétaire du café qui a accueilli dès le début du XVIII° un collectif de musiciens-solistes baroques dirigés par J-S Bach. Refondé en 1998 par Céline Frisch et Pablo Valetti, le nouvel ensemble a donc choisi de jouer quatre symphonies ainsi qu’un concerto pour violoncelle. Cinq oeuvres qui appartiennent toutes au mouvement Sturm und Drang ("Tempête et Passion"), tendance préromantique de la fin du XVIII° dont Carl Philipp Emmanuel est le chef de file. Un concert unique, donné samedi à 17h00.
Octobre 2006

Monday

CONCERT. The Black Keys, des racines et du zèle


A l’occasion de la sortie de leur quatrième album, Magic Potion, le jeune duo de blues venu de l’Ohio a fait une escale au Trabendo à Paris jeudi 5 Octobre, pour un concert unique donné à guichet fermé.
Formation minimaliste composée d’une simple guitare -très- électrique et d’une batterie, le groupe fait une entrée en scène impeccable. Barbe drue et démarche indolente, le chanteur et guitariste Daniel Auerbach fait mouche dès les premiers accords. Sa voix puissante et doucement éraillée se pose sur des mélodies simples mais affûtées, auxquelles répondent ses solos de guitare bruyants et rythmés à souhait. Un procédé que l’on retrouvera dans la majorité des compositions, excepté quelques ballades à la résonance malheureusement moins entêtante. A la batterie, Patrick Carney, apparemment plus sage, complète parfaitement ce duo sans bassiste ; le son brut qui s’échappe de ses fûts est sec, précis et efficace. Le public apprécie, les mouvements de tête rythmés suivent.
Cinq ans après la sortie de leur premier opus, The Big Come Up, les Black Keys ont déjà trouvé leur marque de fabrique : puissance, sobriété, et surtout une excellente connaissance du blues, celui des années trente comme celui, plus électrique, des années 60, dont ils ont emprunté les sonorités. En effet, les Black Keys, souvent comparés aux White Stripes, se situent plus du côté des puristes que des amuseurs de foule. Et même si le chanteur est parfois un peu trop remuant pour un bluesman, il n’a jamais besoin de se mettre en scène pour faire parler son talent.
Ces deux jeunes passionnés ont donc réussi le pari audacieux de mêler les racines du blues aux câbles électriques et au look grunge du chanteur. Au final, on obtient une heure -une peu courte- d’un concert de « blues blanc » à la fois nerveux et élégant, rageur mais pas enragé. Et s’il n’est pas déplacé d’attribuer à une formation de blues des lettres de noblesse, gageons que les Black Keys, qui n’ont d’obscur que le nom, ne les auront pas volées.
Octobre 2006

MOYEN ORIENT. Phallocraties: le voile se lève


Afghanistan, Arabie Saoudite, Yémen, Bahreïn, Iran, Irak, … Le constat est clair : il ne fait pas bon être femme dans ces pays-là. L’oppression séculaire qu’y subit le « sexe faible » semble difficile à résorber. Dans le domaine du travail, de l’éducation, de la famille, dans la vie quotidienne comme dans les prises de position politiques, cette minorité, pourtant majoritaire numériquement, reste cachée dans l’ombre de traditions sexistes. Aucun de ces pays n’a voulu signer la CEDAW, Convention de l’ONU visant à lutter contre les discriminations à l’égard des femmes. Peut-on y voir une simple raison religieuse ? Rien n’est moins sûr. Pour preuve : l’Indonésie, pourtant premier pays musulman au monde, l’a bien signée, de même que la Turquie. Mais pourquoi donc en Arabie Saoudite, la parole d’un homme vaut-elle celle de deux femmes ? Pourquoi interdit-on les femmes de se baigner sans leur burqâ au Yémen? Pourquoi fantasme-t-on sur Rania de Jordanie faisant son footing, alors que seulement 0,5% des juristes sont des femmes dans son pays ?
Les « phallocraties » du Moyen Orient ont hérité de traditions et de structures effectivement légitimées par la charia –loi islamique, et le fiqh –droit musulman. Il est écrit, Sourate 4 du Coran : « Tu as le droit d’enfermer ta femme si elle se montre désobéissante, et de la battre si elle persiste». Seulement, ce texte ne vient qu’institutionnaliser, et justifier des pratiques déjà existantes avant la venue de Mahomet. En contrepartie, l’Islam a construit l’image d’une femme parfaite sous les traits de Fatima, belle et docile, respectueuse et donc, digne de respect. Femme soumise, et libre de l’être en quelque sorte. Le port du voile n’est d’ailleurs pas inscrit dans le Coran, il n’est qu’un dogme instauré par le Prophète lui-même : voulant protéger les beautés de sa femme du regard inquisiteur des autres hommes, il lui demande de se voiler les cheveux –seulement les cheveux. Aujourd’hui, entre 80% et 98% des femmes de ces pays sont voilées, Yémen en tête. La burqâ afghane, si bien montrée par les médias, n’a pas encore disparu, et est souvent remplacée par la bayana complète.
Il existe pourtant dans cette région un mouvement paradoxal d’émancipation de la femme : en Syrie, en Jordanie, en Egypte, et même en Arabie Saoudite, des femmes militantes se dé-voilent, sans pour autant renoncer à leur religion. Au Caire, « seulement » 80% des femmes sont voilées, et en Arabie Saoudite, les femmes viennent d’acquérir le droit de vote. En parallèle, l’Iran, lui, fait preuve d’hypocrisie : le voile est obligatoire –son absence conduit à un an d’emprisonnement et 74 coups de fouet-, la jeune fille devient femme à 9 ans légalement, et la Révolution Islamiste a mis en place un plan de « promotion de la culture de la chasteté ». Mais Téhéran devient en réaction une ville de « débauche » : les femmes voilées les plus riches sont maquillées et habillées à la dernière mode, les clubs clandestins se développent en souterrain, de même que la prostitution de luxe. Et en Afghanistan, trois ans après la chute des mollahs, l’association RAWA (Revolutionary Afghan Women Association), médiatisée par l’UNESCO, a pu être créée sans être censurée. Mouvement paradoxal donc, puisqu’ en Europe, la majorité des femmes issues de pays musulmans autoritaires continue de garder le voile complet. A Londres, chez Harrod’s, le magasin de luxe de Mohamed AlFayed, des fantômes dorés se promènent au rayon des sacs et des chaussures. Les femmes des « rois du pétrole » ; richissimes, mais toujours invisibles.
En réalité, penser que les femmes musulmanes sont opprimées, revient à dire que celles d’Europe ne le sont plus. Et cela nous arrange. Il existe partout au Moyen Orient, à des degrés divers, des mouvements féminins, rarement féministes, plus ou moins clandestins, luttant pour l’affirmation de leurs droits. Cela dit, une difficulté majeure réside dans le fait qu’en Occident, ce sont les hommes qui ont acquis ces droits en premier, et qui ont par la suite « laissé » les femmes lutter pour. En un sens, les hommes doivent d’abord être libres pour que les femmes le soient ; et ces hommes du Moyen Orient, opprimés par un Etat rétrograde, ont trouvé leur terrain de liberté privée dans leur seul rapport de force avec les femmes. Pour preuve, les libertés politiques, syndicales, sont majoritairement inexistantes, et pour les deux sexes. Ces pays ont donc, entre autres, besoin de développer des classes moyennes, c’est-à-dire une forme de bourgeoisie orientale, qui revendiquera la protection de leurs biens par un Etat devenu protecteur, et non inquisiteur. D’où, évidemment, la nécessité d’un développement économique.
Néanmoins, dans ce combat, la soumission de la femme à l’homme ne doit pas être substituée par une soumission de la femme à Dieu. En France, le port du voile marque cette différence : les jeunes filles voilées ne sont pas nécessairement dans une logique de sexe, mais dans une perspective plus religieuse. D’où la difficile compatibilité avec les structures laïques, elles-mêmes très rigides. Refuser d’être insoumise, n’est pas une solution à la soumission. Mais malheureusement, la liberté n’est pas qu’un droit, c’est aussi un devoir. A nous de l’assumer.
Janvier 2006

CARNET DE VOYAGE. A Passage to India


Compte-rendu de trois semaines agitées au coeur du Rajahstan.
D'un point de vue esthétique, il est presque impossible de dire que l'Inde soit un beau pays. Certes, les attractions ne manquent pas, mais il semble déplacé d'apprécier un tel endroit quand la misère étouffe le tout. L'Inde déroute, essentiellement, et c'est pour cela qu'elle séduit. Désordre, bruit et crasse jonchent les rues tandis que des hommes dorment à même le sol et que des animaux, parfois sauvages, vivent à côté. Pourtant très pauvre, parfois misérable (la traversée d'un des bidonvilles de Delhi est particulièrement éprouvante), ce pays a cependant pour règle de refuser la mendicité et le vol, y compris envers les riches touristes étrangers.
Face à cette indigence générale, la société reste très sectionnée. Les castes, au nombre de 5, perdurent, malgré l'instauration récente de quotas dans le secteur public. Les traditions séculaires et le racisme "ethnique" sont également de mise. Les communautés religieuses minoritaires cohabitent tant bien que mal avec les Hindouistes (environ deux tiers de la population). L'Islam arrive second avec 200 millions de fidèles. A noter que les Sikhs, sous représentés et extrêmisés en France, forment ici une population bien intégrée et très commerçante.
Dans les zones frontalières, quelques conflits épars éclatent encore de nos jours, sous forme d'enlèvements et parfois même de massacres organisés, comme ce fut le cas au Bengale où un village entier a été brûlé en 1995 par des militants indépendantistes locaux, tuant 600 personnes.
Le fantôme de Bollywood
Société contrastée, donc, qui néglige encore l'importance et l'intégrité des femmes. Les mariages arrangés sont monnaie courante, et l'apparence physique féminine est très codifiée (cheveux longs, sari/tunique, etc) et, chose surprenante, les femmes n'ont pas le droit de danser en public. L'image libertaire, kitsch et féérique de Bollywood est donc largement fallacieuse, d'autant plus qu'il est rare de trouver une spectatrice dans les salles obscures.
En milieu rural, la gente féminine (y compris non musulmane) se couvre le visage en seule présence d'un homme. Et c'est à Bénarès, ville sacro-sainte, que le phénomène est vraiment saisissant: toutes les Musulmanes y portent l'abaya complète, triple voile noir qui ne laisse "respirer" que les yeux. Près de la frontière pakistanaise, une femme venant d'ouvrir un magasin de vêtements me racontait les insultes reçues "pour la simple raison qu'elle souhaitait acquérir plus d'indépendance", insultes accompagnées de la mise à sac de son échoppe.
L'éducation est un autre domaine crucial où le sexisme persiste. Souvent contraintes de participer aux travaux agricoles, les jeunes filles de la campagne sont souvent tenues de ne pas fréquenter les locaux scolaires, pourtant de plus en plus accessibles. Seul un tiers arrive jusqu'au lycée, l'analphabétisme guette le reste d'entre elles.
Un amour platonique
L'Inde possède un potentiel économique immense, encore peu exploité à grande échelle. En tant que pays du Tiers Monde, elle reste dans le besoin et dans l'urgence. Mais son développement doit rester alerte et prudent, au risque de s'imbiber d'une culture occidentale difficilement compatible avec ses traditions et structures de pensée antédiluviennes. Potentiellement jaloux de l'abondance et des consolations qu'offre les modèle capitaliste, ce gigantesque îlot d'histoire, encore méconnu des économistes comme des philosophes, risque autrement se consumer sans avoir pu s'adapter à ces transformations inévitables.
Mon exploration de ce monde incongru, aux ambitions aussi peu mystiques que prosélytes, a provoqué chez moi un déracinement insoupçonné et m'a donné l'opportunité rare de repenser en profondeur les grands mécanismes de nos sociétés contemporaines. Croissance, accumulation et développement inconditionnel deviennent autant de mots superflus et vides de sens.
Le contact que j'ai eu avec cette terre rendue à l'indépendance depuis seulement un demi siècle a créé, de par sa spontanéité et son étrangeté, un vrai choc des cultures, mais jamais un affrontement. J'ai développé avec l'Inde un amour platonique, pourtant défloré. Mais il reste difficile pour une jeune Occidentale, peau claire et cheveux ras, de s'intégrer à ce pays aux dimensions de continent. Pays mythique, pays mystique, l'Inde reste donc inépuisable, bien que fragile.
Septembre 2005