Créées en 1954, associées à Grasset cinq ans plus tard, les éditions Fasquelle ont racheté le Magazine Littéraire pour une bouchée de pain voilà bientôt quarante ans, sous l'impulsion de son fondateur, Jean-Claude Fasquelle.
Sa femme, Nicky Fasquelle, voix nasillarde et lunettes à la Duras, s’installe en face de nous. Agée, déjà, mais vieille, loin s’en faut. Italienne de naissance, débarquée en France à 17 ans, elle a vite renoncé à une carrière de pianiste. De son mariage avec Jean-Claude, nous ne saurons presque rien : ni dates, ni circonvolutions. Plutôt évasive sur sa jeunesse, elle avoue seulement n’avoir jamais travaillé. Jamais, jusqu’à ce qu’on lui propose un métier qui l’occupera pendant 35 ans : diriger le Magazine Littéraire, tout juste racheté par son mari.
Le Magazine Littéraire, nous explique-t-elle brièvement, est à la croisée du magazine et de la revue : il comprend un dossier volontairement lourd -car complet- et des rubriques annexes plus centrées sur l’actualité. Fait étonnant, les numéros les plus vendus depuis sa création sont ceux dédiés à Lacan et Foucault. L’équipe de ce mensuel ne compte pas plus d’une soixantaine de permanents « bien payés » et de pigistes -visiblement moins bien lotis.
35 ans de règne sur ce petit monde , cela grise. Cela peut rendre sceptique, également. Car on comprendra vite que le hasard n’a joué dans sa vie qu’en amont. Bien que périlleux, le poste qu’elle a tenu lui a effectivement été servi sur un plateau d’argent. Cela dit, et ne soyons pas trop acides, Nicky a prouvé ses capacités à diriger le journal, à le redresser, à lui assurer une large visibilité en France comme à l’étranger et à l’imposer comme « le » véritable magazine de l’écrit francophone. Résultat, il compte aujourd’hui parmi les dix magazines francophones les plus lus aux Etats-Unis, et exporte le cinquième de ses volumes à l’étranger, soit environ 15 000 numéros chaque mois. Un joli coup de chapeau, dont elle tire une sincère satisfaction mais point d’orgueil.
De fil en aiguille, la conversation s’éloigne peu à peu du journal. Nicky se met même à poser des questions. Et à parler littérature. Le Da Vinci Code ? Elle a aimé, oui. Houellebecq ? Pas si révolutionnaire qu’on le pense, mais pas dénué de talent non plus. Florian Zeller ? Surestimé, sans doute. A noter qu’il a proposé la création un supplément « jeunesse » au Magazine, mais que le projet n’a pas abouti. Duras ? Rencontrée une fois (seulement).
En clair, il n’est pas un écrivain que Nicky n’ai rencontré, pas un pro de la plume avec qui elle n’ait dîné. A tout hasard, elle nous propose même de rencontrer BHL. Une proposition accueillie plutôt fraîchement…
Evidemment, un tel enthousiasme décomplexé, cela intimide. Dans la salle, une poignée d’étudiants désireux de côtoyer ce petit monde commence à déchanter. Comment faire pour percer là où, visiblement, le talent seul ne suffit pas ? Nicky raille : « Les copinages ça existe, bien sûr, mais pas plus qu’entre les pharmaciens ! ». Alors elle conseille, plus confidente : faites des stages, persévérez, et surtout faites preuve d’audace. Finalement, rien de bien nouveau sous le soleil. Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années. Aux autres …
Bref, Nicky Fasquelle, « femme de » mais pas seulement, fait ce qu’elle veut, et elle a bien de la chance.