Monday

Michel Desjoyeaux, le Roi sans terre

Exercice de style. La victoire de Desjoyeaux au Vendée Globe

Une quarantaine de bateaux, trois hélicoptères, un feu d’artifice, cent mille personnes sur la jetée... Michel Desjoyeaux est de retour d’exil. Un exil qui a duré 84 jours et 84 nuits, sans jamais toucher terre.
Il y a comme une douce impression de déjà-vu dans ce triomphe. 2001 était l’année du premier sacre ; 2008 est celle de l’adoubement suprême. En terre vendéenne, on peut être deux fois roi dans une vie. Et commander aux éléments en toute liberté.
Michel Desjoyeaux ne navigue pas, il lévite sur l’eau. Un jour de retard au départ, deux d’avance à l’arrivée. C’est un renard des mers, un soliflore au regard juvénile. Ses ancêtres sommeillent quelque part au fond des océans. Son maître Tabarly y repose à jamais.
Desjoyeaux est hors temps. Un conquistador moderne qui voyage sans drapeau. « Je pense, mais je ne comprends pas » dit le poète. Desjoyeaux fait tout l’inverse. Il comprend les creux, le ressac et la houle, le vent et les marées. En navigateur de l’au-delà.
Lunaire et majestueux, il impressionne par sa tempérance. Le destin n’assomme que les âmes sombres, erratiques. Son sourire ferait presque oublier les épreuves traversées : les nuits sans sommeil, le vent qui claque, les avaries qui guettent, la solitude. Yann Eliès y a risqué sa vie. Il ne reste à l’arrivée qu’une douzaine de héros sur les trente au départ.
Pour un terrien lambda, il n’existe rien de plus énigmatique que l’ivresse du large qui berce les grands navigateurs. La torsion des voiles qui masquent le ciel a quelque chose d’irréel. Un bateau a ses codes et son langage. C’est une île en soi où seuls quelques individus peuvent se risquer.
De titres, Desjoyeaux en compte plusieurs dizaines. Avec son doublé au Vendée globe, il détient à présent le plus beau des records. Gravé dans le sable, car éphémère, même si aucun dauphin ne semble encore prêt à prendre la relève. Desjoyeaux règne en solitaire sur la planète Océan. Il mérite bien sa couronne.

Janvier 2009

Sunday

Il cachait la drogue dans son panier à linge

Un couple comparaissait vendredi devant le Tribunal de Lille pour détention et contrebande de cannabis
(Par respect pour les prévenus, leurs noms et prénoms ont été modifiés)

Difficile de savoir ce qui se passait réellement dans cet appartement de Croix où les policiers ont saisi 8 kilos de cannabis et 6 600 euros en décembre dernier. Le couple qui l'habitait, accusé de trafic de drogue, n'a cessé de se contredire durant les deux heures qu'ont duré le procès. Au grand damne d'Hélène Judes, la présidente, impuissante de bout en bout : « J'ai vraiment l'impression que vous nous prenez pour des imbéciles ». Le constat d'échec était semblable pour la procureure qui a néanmoins tenté de remettre un peu d'ordre dans cette histoire.

Hafida A. a 25 ans et se prostitue depuis sa majorité dans un bar à champagne en Belgique, cinq jours sur sept. Elle avoue toucher 4 000 euros par mois. Pendant ce temps son compagnon, Brahim Bekrouch (30 ans) reste chez eux. Un accident de voiture l'a rendu inapte au travail. Il touche le RMI, elle aussi. Tous deux dépendants au cannabis, ils possèdent une BMW volée (ils disent l'ignorer) et un garage dont seul lui semble connaître l'existence. Idem pour les 70 "savonnettes" de cannabis retrouvées dans le panier à linge ainsi que l'argent dissimulé dans la friteuse. « J'ai fait une lessive la veille de la perquis', pourtant, mais j'ai rien vu », confie-t-elle innocemment.

Proxénète ?

Le couple est donc soupçonné de trafiquer ensemble. Mais le comportement de l'homme, particulièrement distant envers sa compagne, met le tribunal sur une autre piste, dans laquelle Hafida A. ne joue qu'un rôle mineur. Car il semble bien que son compagnon se soit d'abord servi d'elle et de son argent. « On s'aimait bien, oui », déclare-t-il à son avocat. Une phrase qui sonne comme un aveu. Elle fond en larmes, « tiraillée, terrassée » dit la défense. Mais elle le couvre pourtant jusqu'à la fin.

Parce qu'il profitait de l'argent de sa compagne, Brahim B. était aussi accusé de proxénétisme, un motif que la sanction finale n'a pas retenu. Les juges l'ont condamné à deux ans de prison dont neuf avec sursis. La jeune femme, qui entame une cure de désintoxication et souhaite devenir puéricultrice, écope elle de neuf mois avec sursis. Heureusement pour eux, il s'agissait là de leur première comparution devant un tribunal.

Janvier 2009

Thursday

Une semaine de changement vue d'Amérique

On l’attendait au tournant, il a répondu présent. Barack Obama, investi mardi dernier, a déjà signé une dizaine de textes qui illustrent sa vision du « changement ». Les médias américains, qui s’étaient prononcés en majorité pour le candidat démocrate lors de la campagne, ont pourtant été surpris par ce volontarisme affiché


L’image est historique, immortalisée par des millions de caméras et d’appareils photos –dont celui de sa fille. Le premier président américain noir vient de prêter serment. Mais au-delà de cet instant symbolique, ce sont huit années de George W. Bush qui semblent avoir été balayées d’un regard, d’un sourire, en moins d’une semaine. Oui, Things have changed, aux USA, et les médias américains s’en félicitent.


Pour Pamela Gentry, éditorialiste au puissant blog Bet.net, Obama est le premier président à profiter de ce jour d’investiture pour s’adresser au monde entier. Il prononce son discours sans arrogance, en président légitime, quand l’investiture de George W. Bush en 2000 (sauvé par la Cour Suprême à une voix près) est encore dans toutes les mémoires. Lors d’un débat à la radio nationale NPR avec Mrs Gentry, Marcus Mabry du New York Times se félicite aussi qu'Obama n'ait pas suivi le langage américano-centré (notamment pour les questions énergétiques) d'un Ronald Reagan en 1980.


Particulièrement à l’aise et proche des gens (le Washington Post publie une série de photos qui en témoignent), le nouveau président a surtout surpris par son discours « liberal » (au sens anglosaxon). Quand il déclare « public service is a priviledge », les médias n’y voient pas un archaïsme mais une modernisation de la « gauche » américaine. Quelques heures plus tard, Obama signe d’ailleurs un texte très restrictif pour les lobbies destiné à les éloigner du pouvoir (c’est la fin des « revolving doors »). Politique d’austérité oblige, il décide également de geler les 100 plus gros salaires de la Maison Blanche. Des mesures qu’il n’avait pas mises en avant lors de sa campagne.


Mais pour que le changement soit possible, selon le New York Times, il faut d’abord qu’il soit visible. Voilà pourquoi il décide dès la première semaine de rendre la politique américaine plus transparente : fermeture des prisons de la CIA en dehors du territoire, dont Guantanamo, décrets interdisant aux élites de faire de la rétention d’information et surtout, mise à disposition éventuelle des archives de l’ère Bush aux historiens… « J'en trépigne de joie », sourit Lee White, le directeur de la National Coalition for History.


Il ne faut pas oublier qu’Obama avait fondé sa notoriété et sa fiabilité sur cette même stratégie de la transparence tout au long de sa campagne, en faisant d’Internet un outil phénoménal de communication. Cette stratégie cybernétique ne change pas : dès son arrivée au pouvoir, le site de la Maison Blanche (www.whitehouse.gov) fait ainsi peu neuve, comme le remarque le blog www.techpresident.com. Obama a même annoncé qu’il publierait une Newsletter toutes les semaines pour faire le point sur sa politique.


Mais pour Abderrahim Foukara, correspondant à Al Jazeera International interrogé sur NPR, Obama a d’abord fait un choix crucial, celui de prendre à bras le corps le conflit en Palestine au cœur des antagonismes entre Orient et Occident. Au lendemain de son investiture, Obama a donc appelé Hosni Moubarak et tenu une réunion au sommet avec le général David Petraeus (qui dirige l’armée en Irak) avant d’officialiser la fermeture de Guantanamo. Et il a très vite nommé un émissaire spécial au Moyen Orient, George Mitchell, qui viendra épauler la nouvelle chèfe de la diplomatie américaine Hillary Clinton.


Il est bien évidemment bien trop tôt pour juger de l’efficacité des autres réformes promises : le gigantesque plan de relance économique de 800 milliards de dollars, voté aujourd’hui ; les mesures en faveur du développement durable (il n’a pas encore parlé d’adhésion au protocole de Kyoto) ; le soutien inconditionnel à Israël. Répondant à Paul Gigot sur Fox News, Dan Henninger, éditorialiste au conservateur Wall Street Journal, met finalement en garde : « En fermant Guantanamo, il a également créé de nouveaux problèmes. Qu’allons-nous faire des prisonniers ? De plus, en mettant l’armée et les services secrets plus en retrait, il les fragilise. Il ne devrait pas négliger les deux à la fois ».


Selon deux sondages Gallup parus mercredi et samedi, Barack Obama jouit d’une côté de popularité forte (63%). Cela lui assure une marge nécessaire à la mise en place de politiques qui ne rassemblent pas les Républicains, notamment sur l’économie. Comme le rappelle le blog politique de CNN, il devra piocher dans son « capital politique » pour mener à bien ces réformes. Ce sur quoi Marcus Mabry, du New York Times, conclut : « Il s’est fait élire grâce à la blogosphère. Mais il ne doit pas gouverner en fonction d’elle ».


Janvier 2009

Tuesday

Roger Karoutchi renvoie le PS au placard

Historique. C’est un moment historique. Des années que l’on attendait cela, des mois qu’on le sentait venir. Et puis ce moment est arrivé. Pour la première fois, mardi dernier, l’opposition française, fumante, a déclamé la Marseillaise debout devant le président de l’Assemblée Nationale et refusé de siéger le lendemain lors des questions au gouvernement. Une protestation sonore venant d’un PS pourtant bien moribond, mais dont les députés sont scandalisés par le nouveau projet de loi de l’UMP, jugé liberticide.

Quoi ? Ce n'était pas cela, ce moment historique, inédit depuis 1974 ? Il y a d'autres scoops au Parlement? Roger Karoutchi, le secrétaire d’Etat aux relations avec ce même Parlement… a fait son coming out ? Ah. Bon. C’était donc cela, l’information centrale de la semaine dernière... Celui qui considère le mouvement de révolte du PS comme une simple « flibusterie » vient de révéler son homosexualité.

Premier quotidien national à évoquer le sujet, le Journal Du Dimanche daté du 25 janvier. L'article intervient après la parution la veille d'une interview "exclusive" dans le tout jeune mensuel l’Optimum, où Karoutchi révèle ce qu'il était censé révéler dans son livre* deux semaines plus tard . Et puisqu’une brève ne suffit pas, le JDD y consacre une page entière. Ironie du calendrier, les lecteurs matinaux ont également pu suivre un télézapping du même Karoutchi diffusé à 13h dans l’émission + Clair (sur Canal) où le jeune homme -57 ans- déclare regarder MCM, MTV et M6 pop « en boucle ».

Dans ces circonstances, tout de même, il semble de bon ton d’y apporter une touche de « sérieux » et d’analyse, alors même que cette révélation est pour beaucoup un secret de polichinelle. Le Nouvelobs.com souligne : « C’est la première fois en France qu’un ministre en exercice fait son coming out », tout en rappelant que Bertrand Delanoë, alors candidat PS à la mairie de Paris, l’avait précédé en 1998 dans une interview à Zone Interdite, sur M6. A l’Elysée… et ailleurs, le blog politique de l’Express, y voit lui une campagne de communication destinée à raffermir son image en vue des régionales de 2010. Roger Karoutchi est en effet candidat à la tête de la région Ile-de-France, mais devancé dans les sondages pour les primaires à Valérie Pécresse. Celle-ci avait d’ailleurs agacé M. Karoutchi en juillet dernier, en déclarant qu’une des différences entre elle et lui était qu’ « elle était mariée avec trois jeunes enfants ». Une autre hypothèse pointe directement Sarkozy : « Encouragé par le chef de l'Etat et par son épouse Carla, écrit le JDD, il décide de rajouter trois pages sur son homosexualité à son autobiographie -qui en compte 300. Prudent, il fait relire sa confession à deux conseillers du président ». De là à en déduire qu’il en devient un outil de communication supplémentaire pour le chef de l'Etat…

TF1 ne prend pas cette précaution. « Et vous allez voir que le chef de l’Etat y est pour quelque chose », annonce Roselmack en lancement de l’interview réalisée « en privé » avec Karoutchi, dans son émission Sept à Huit. Huit, comme huit minutes de tête à tête avec le journaliste Thierry Demaizière. L’entretien s'ouvre carrément sur un éloge par Karoutchi de son ami de trente ans qui n’hésite pas à l’inviter aux réceptions avec son compagnon. « Pour lui, c’est naturel », confesse-t-il, un brin ému.

Mais les réactions les plus vives émergent, comme souvent, de la blogosphère. Lepost.fr liste cinq blogs, aux accents politiques ou pro-gays, à commencer par Citegay.com pour qui cette stratégie vise à rajeunir son image. Derrière la satisfaction de voir un homosexuel assumer sa sexualité au grand jour, Gayclic.com regrette le mutisme de Karoutchi sur certains sujets clés : invité chez Serge Moati sur France 5 dimanche soir et Fogiel à la matinale d’Europe 1 lundi, Karoutchi refuse de s’exprimer sur le mariage homosexuel ou l’adoption. Rien non plus sur les fichiers Edvige ou Stic (voir cet article) où les homosexuels sont directement visés. Rien enfin sur les déclarations de Christian Vanneste, député UMP réputé pour son homo-scepticisme, voire son homophobie.

Au final, ce « buzz » ne cache pas seulement les véritables engagements politiques du Monsieur, mais aussi toute la crise parlementaire qui le concerne directement. L’émission Ripostes mise à part, pas un mot n’a été dit à Karoutchi de la motion de censure qui guette la majorité. Une chose à peine envisageable dans un contexte de crise répétées à l’Assemblée et d’indignation générale de la part de la gauche. Que Roger Karoutchi veuille mettre un terme au tabou, personne ne peut lui reprocher ; mais que les médias soient à ce point oublieux est regrettable. Dans ce placard d’où est sorti Roger Karoutchi s'entassent les élus PS, temporairement étouffés par cette vraie-fausse annonce. Le vote de la motion de censure, prévu aujourd'hui, les en fera-t-il sortir ?

* Roger Karoutchi, Mes quatre vérités (Flammarion). Sortie le 4 février.

Thursday

La passion selon Catherine M.

L’auteure à scandale de La vie sexuelle de Catherine M. publie Jour de souffrance, son deuxième roman. Une exploration plus sage mais toujours aussi passionnante de sa vie intime

On la savait libertine, on la découvre fragile. Catherine Millet, qui avait enflammé la rentrée littéraire en 2001, refait parler d’elle. Mais sous un jour nouveau cette fois-ci : celui, étonnamment, de la souffrance. Une façon d’éclairer la face cachée de sa vie sexuelle, plus tourmentée qu’il n’y parait.

Second volet de son diptyque érotique, ce livre est né d’une sollicitation extérieure : celle de son public, qui souhaitait comprendre comment « elle faisait avec la jalousie ». Elle explique donc, avec une minutie et une perspicacité qui lui sont propres, comment s’incarne au quotidien cette « douleur-panique » provoquée par l’adultère dont elle a aussi été victime. Une analyse à la fois personnelle et universelle du cocuage qui donne toute la force à son œuvre.

Comme dans son premier roman, c’est le corps Catherine Millet qui en est le personnage principal. C’est en effet lui qui pense, jouit, observe, aime, se révolte. Ce corps, le lecteur l’avait déjà suivi dans La vie sexuelle… sous toutes ses coutures. Des plus simples (l’amour physique en couple avec son compagnon, Jacques Henric) aux plus sulfureuses (les partouzes improvisées dans les beaux quartiers ou sur des aires d’autoroutes). On le retrouve ici victime de « crises » répétées, dues à la jalousie. Des jours de souffrance où la romancière fouillait frénétiquement dans les tiroirs de Jacques, se fâchait avec lui ou bien se masturbait douloureusement…

En bonne connaisseuse de l’art moderne et de la psychanalyse (elle « consulte » depuis plusieurs années), Catherine Millet éclaire son propos en évoquant Salvador Dali, ce « grand masturbateur » et voyeur en qui elle se reconnait, ou Lacan (qu’elle préfère à Freud). Elle fait également appel à Marcel Proust, avec qui elle partage un goût pour les phrases complexes et cette obsession de la mémoire, qu’il faut sans cesse décomposer afin de mieux la retrouver. Comme un besoin vital de combler les fissures du temps.

Hors d’atteinte

Objective, Catherine Millet ne l’est jamais. Mais elle s’efforce, en permanence, de s’objectiver. En voyeuse. Comme un témoin de sa propre vie. Elle s’astreint donc, dans sa vie comme dans son écriture, à fuir les stéréotypes imposés par la société. Ceux qui voudraient faire d’elle une « femme facile » ou au contraire, une « cocue » sortie d’un Feydeau. Elle y parvient non sans peine, mais avec grâce et discernement.

Si elle ne revendique pas la souffrance, elle l’assume pleinement. Le lecteur regrettera peut-être cette absence de complainte. Mais ce silence est salutaire. Il permet d’éclairer la dialectique récurrente entre plaisir et souffrance qui cohabitent dans un corps aussi fantasque et sollicité. On regrettera en revanche certains passages plus faciles qui font la part belles aux oxymores un peu convenus (« jouissif supplice », « douleur exquise », « volupté des sanglots »…).

Pour aimer Catherine Millet, il faut avant tout aimer un paradoxe : celui d’une romancière qui parle de chair, en profondeur, sans jamais employer d’écriture charnelle. L’émoi, l’influx, et la tristesse sont en effet délaissés au profit de l’intellect. Rêveuse, utopiste même, Millet est avant tout une cérébrale toute puissante et comme inaccessible. Au point qu’elle occulte malheureusement tout un pan de sa réflexion, et laisse au lecteur une question brûlante sur les lèvres : pourquoi était-elle, dans son couple, la seule à être jalouse ?

Janvier 2009