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Un drame, deux demi-reines

Mary Stuart, la pièce de Friedrich Schiller, mise en scène par Stuart Seide, raconte l’affrontement entre deux reines qui se disputent la légitimité du trône d’Angleterre


Loi salique oblige, nous autres Français sommes plus habitués aux convoitises du trône et successions fratricides qu’aux luttes de pouvoir entre femmes. L’histoire qui opposa en Angleterre la terrible Elisabeth Ière et Mary Stuart, sa demi-sœur haïe et redoutée, a donc de quoi alimenter bien des fantasmes. Ceux d’hommes ou de rois, que nous ne connaîtrons pas, mais aussi d’écrivains comme Friedrich Schiller, dramaturge allemand, contemporain et ami de Goethe, qui revisita à sa façon le destin des sœurs Tudor.

Le texte, dont les préoccupations lorgnent plus du côté de Corneille que de Shakespeare, nous présente deux figures paroxystiques de l’impuissance. Elisabeth (jouée par Cécile Garcia Fogel) règne mais dans la souffrance : cette protestante craint son peuple et tous les rois d’Europe, des catholiques comme sa sœur. Mary Stuart (Océane Mozas) symbolise tout l’inverse : la fierté, la détermination et la majesté. Mais on l’accuse d’avoir fait assassiner son mari. Elle croupit donc dans un cachot, d’où on l’extirpera pour la conduire à l’échafaud - car on lui reproche surtout de vouloir détrôner Elisabeth.

Schiller s’intéresse manifestement plus aux rouages du pouvoir qu’à la psychologie féminine. L’esprit de justice est-il compatible avec la vengeance ? Une catholique peut-elle gouverner l’Angleterre ? Et quid de l’Ecosse, dont Mary Stuart est la reine « naturelle » ? La horde masculine qui gravite autour de ce duel de dames incarne ces questionnements : Leicester, un séducteur lâche qui doit choisir entre les deux reines ; Mortimer, un jeune homme converti au catholicisme qui défend Mary Stuart ; Burleigh, le conseiller de l’ombre, plus cynique que machiavélique ; et enfin, le sage mais faible Shrewsbury, sorte de porte-parole de la Société Des Nations avant l’heure. Mais de féminité, il n’est point question.


« C’est moi, votre roi ! »


Le décor évoque une prison mobile, plus imaginaire que réelle, où errent la prisonnière et toute la cour. Habillé par les lumières de Jean-Pascal Pracht, feutrées et lancinantes, il crée une vraie tension tragique, jouant plus sur la pitié que la terreur. Mais il est bien le seul. Elisabeth Ière pousse en effet des soupirs désespérants, d’une voix rauque et forcée. Les personnages secondaires sont des couples de contraires qui fonctionnent sur une dualité attendue et ennuyeuse. Et comment croire au destin tragique d’une Mary Stuart ni triste ni révoltée, qui semble si peu convaincue d’être reine ?

Quelle tristesse de ne pas retrouver chez la régnante ou sa rivale cet « hubris », cet orgueil foudroyant qui anime les puissants et finit par les perdre ! Leicester seul parviendra à captiver le spectateur ; non pas qu’il soit plus fascinant que les autres, mais il s’écarte au moins du schéma tracé par Schiller, en jouant sur des registres plus comiques et fantasques. Tout cela est dommage car Mary Stuart et Elisabeth portent en elles les fragments d’une grande et belle tragédie, celle où les choix sont inconciliables et où une seule maxime règne : gouverner ou périr. Reste tout de même cette sublime phrase, prononcée par Elisabeth à la fin de la pièce : « Tous les malheurs qui me frappent s’appellent Mary Stuart ! ».


Décembre 2008

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