Wednesday

CYCLE BIZARRE. Quelle performance!


New York, 1974. Un avion en provenance de Düsseldorf se pose sur une piste de l’aéroport John F. Kennedy. A l’intérieur, Joseph Beuys, artiste allemand, réfugié dans une étoffe de feutre. Invisible. Escorté par une ambulance et des voitures de police, l’étrange colis finit par atterrir quelques heures plus tard à la Galerie René Block. Beuys y restera trois jours, emmitouflé dans sa couverture à côté d’un coyote sorti de sa réserve naturelle pour l'occasion. Avec lui, l’artiste jouera de sa canne, de son triangle, de sa lampe torche. Une fois les 72 heures écoulées, Beuys repartira comme il est venu, sans presque avoir foulé le sol américain.
I like America and America likes me (nom que porte cette action) est sans doute la performance la plus célèbre de celui que l’on considère aujourd’hui comme le père de l’art contemporain. Elle est aussi l’emblème d’une nouvelle forme de création artistique désignée comme telle depuis les années 60, mais aux racines bien plus profondes.
En effet, l’art des performances puise ses origines dans des pratiques culturelles de loin antérieures aux actions viennoises de Nitsche (attention, ne pas confondre) ou même aux soirées délirantes des Dadaïstes au Cabaret Voltaire zurichois. Car une performance, c’est avant tout une mise en scène, une représentation, une mise en mouvement d’idées. D’ailleurs, l’anglais « to perform » (jouer une pièce) traduit plus clairement cette notion de « publicité » de l’art, de vouloir confronter le public non pas à une œuvre finie, mais à une œuvre en devenir.
Qu’elles fassent rire, grimacer ou grincer des dents, qu’elles énervent ou qu’elles laissent perplexes, les performances soulèvent plus que jamais la question de la légitimité d’une œuvre d’art et de sa raison d’être. Soyons honnêtes : comment le fait de faire du hula hoop avec un fil de fer barbelé en guise de cerceau, comme l’artiste israélienne Sigalit Landau, peut-il être perçu comme un fait artistique ? Quelle est la place de l’esthétique dans l’éviscération nitschéenne (voir plus haut) d’un agneau de Pascal ? Quid des opérations chirurgicales déformantes de la française Orlan ? Quid des bras de Gina Pane, perforés d’épines de rose, et de ses mains meurtries par des rasoirs disposés sur les barreaux d’une échelle qu’elle escaladait ? Tout ceci paraît bien obscur. Pas sérieux, diront certains. Fou ! s’exclameront d’autres. Mais l’essentiel, comme toujours, est ailleurs.
Observez plutôt le photographe Araki, possédé, captant ses modèles nus devant un parterre de spectateurs ébahis par tant de grâce ; regardez comment ces femmes, baignées de bleu, l’air impassible, se meuvent sur la toile horizontale d’Yves Klein ; écoutez John Cage tourner les pages d’une partition vide, ce silence, cette unique pause, seulement longue de 4 minutes et 33 secondes ; venez, vous-aussi, au lieu de maugréer, découper un bout de la robe de Yoko Ono (qu’oserez-vous y découvrir : une épaule? Un bout sein ? Un pudique genou ?)…
Pour comprendre et apprécier de tels moments, il ne faut qu'une chose: être là. Complice, dubitatif, exaspéré peut-être, mais bien là, au cœur de l’action, au cœur de la vie. Rauschenberg disait : « L’art et la vie ne se font pas. Je crée entre les deux ». Les performances en sont un magnifique contre-exemple.

Novembre 2007 - Publié dans Artmaniak

1 comment:

Anonymous said...

moi je trouve que (au delà de la question du statut ou de la légitimité de l'oeuvre d'art)c'est le statut de l'artiste lui même qui est en jeu : dans l'art parmi les autres "artiste", dans la cité (rôle des perf "politiques") mais aussi dans l'humanité/société : le tabou de détruire son propre corps, remettre en cause son "humanité" pour Orlan... à ce propos on avait travailler sur Chris Burden qui se fait tirer dessus de manière volontaire en plein musée... et surtout l'esthétique se renverse totalement...