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RENCONTRE. Jérôme Saltet, co-fondateur du groupe PlayBac

Le regard est franc, la posture, sympathique, et le ton enjoué. Jérôme Saltet, à la tête d’une entreprise dont le chiffre d’affaire tutoie les 30 millions d’euros, a l’air heureux, simplement. Sans prétention, il raconte son parcours. Il évoque successivement les bancs de Sciences Po (ceux du fond, de préférence), ses premières amours professionnelles contrariées, les hasards, parfois les hasardements : une élection perdue et son boulot d’attaché parlementaire avec, un entretien d’embauche avec un directeur cloîtré dans sa Ferrari, sa courte carrière de rugbyman presque professionnel.

Puis, il en vient à l’entreprise de sa vie, le groupe Playbac, aujourd’hui leader français du secteur ludo-éducatif. Cela fait en effet vingt ans que lui et ses deux amis d’enfance, François Dufour et Antoine Recher, forment un triumvirat exemplaire. Leur fil rouge : le développement de projets éditoriaux à la fois pédagogiques et divertissants pour les jeunes, dans un domaine où les pouvoirs publics ont effectivement souvent du mal à joindre les deux bouts. Plaire et instruire, disait Molière ; c’est maintenant chose faite.

Après avoir remporté le premier Prix du Salon du Jeu en 1986, le groupe n’a cessé de s’accroître, sans pour autant renoncer à ses principes fondateurs. Ainsi, lancé sous le slogan « Auriez-vous le Bac aujourd’hui ? », le jeu Playbac, qui présentait « 5000 questions pour passer le Bac », visait aussi bien les bacheliers prospectifs que les adultes désireux de retrouver leur jeunesse le temps d’un quizz. Pour populariser leur trouvaille, ces trois collègues et complices ont même « refait passer le Bac » à certains hommes politiques de l’époque, profitant de leurs relations créées rue Saint Guillaume.

Depuis, la boîte a fait des petits : création de nouveaux jeux-questionnaires (comme Brain Quest), publication de quatre quotidiens pour enfants et adolescents (Mon Quotidien, l’Actu…), future implantation aux Etats Unis. Mais c’est surtout avec la série des Incollables, encore vendus à 600 000 exemplaires chaque année, qu’elle a marqué toute une génération de têtes blondes, au milieu de la décennie 90.

Qu'on se le dise, Jérôme Saltet fait partie de ces noms propres qui se déclinent toujours au pluriel. Car l’entreprise qu’il a montée avec « François » et « Arnaud » est bien le résultat d’une ambition collective, d’un désir fort et réfléchi de partager une passion, un travail, un avenir, et même un salaire. Mais si certains ont besoin d'un éclair de génie pour trouver une recette qui marche, eux s'y sont pris différemment : pas d' "Eurêka!" poussé du fond de leur baignoire, mais plutôt le choix de faire maturer plusieurs mois le concept avant qu'il ne voie définitivement le jour, dans un train. En Octobre 1985, le projet avait ainsi pris forme ; en janvier 1986, l’entreprise était créée ; et la même année, notamment grâce au Prix du Salon du Jeu, le succès était au rendez-vous.

Doit-on en conclure que cette carrière constitue un sans fautes ? Jérôme Saltet n’est pas si enthousiaste. D’abord, il y a eu quelques ratés, des produits qui n’ont pas suffisamment plu, comme Brain Quest. Ensuite, il y a eu l’essoufflement rapide du jeu PlayBac, et la légitime déception de voir un tel succès fané si rapidement. Enfin, il y a eu des projets irréalisables, parce-que trop coûteux ou trop aventureux, et surtout un projet revendu à contrecoeur, Bien Joué. La vraie, peut-être la seule grande déception de Jérôme Saltet depuis la création de la boîte.

De cette rencontre surgit une conclusion presque évidente: pour réussir, nul besoin de coup de génie. A l’instar de PlayBac, on peut être convaincu que c'est avant tout l’envie de créer et de construire qui prévalent. Une leçon de vie finalement pleine d’humilité et de bon sens.

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